mardi 18 décembre 2012

Le PCF et l'Algérie : pour en finir vraiment avec le colonialisme et ceux qui l'instrumentalisent…

Ce texte est une intervention de Pierre Laurent, secrétaire nationale du PCF, lors d'une rencontre portant sur le 50ème anniversaire de l'indépendance de l'Algérie. Il est repris dans une brochure éditer par la fédération de Paris du PCF.

En cette année 2012 du 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, on espérait un nouveau départ de la relation franco-algérienne avec un nouveau regard sur le passé colonial. La France, en effet, ne pourra pas construire, dans la durée, un rapport « normal » avec l’Algérie et les autres pays du Maghreb, ni même contribuer à refonder un partenariat euroméditerranéen digne de ce nom, sans une reconnaissance du fait colonial, de ses crimes et de ses conséquences.

La crise en Europe, aujourd’hui, systémique et profonde, est en effet le fruit d’une politique structurée sur un rapport de prédation et de domination, sur l’arrogance des puissants, sur le refus persistant de considérer le colonialisme comme une matrice, un antécédent qui marque dans la longue durée la relation franco-algérienne et même euro-méditerranéenne. Construire ou reconstruire un partenariat, des coopérations avec l’Algérie et le Maghreb, cela nécessite bien des changements démocratiques, une confiance mutuelle donc une histoire correctement assumée. Un nouveau regard sur le passé colonial aurait dû s’imposer aussi car il faudra bien qu’un jour, la France ose regarder la vérité en face. Comme le dit fort justement Françoise Vergès (1) , le colonialisme, « c’est bel et bien l’histoire de la France ». L’État, à travers les plus hautes autorités qui l’incarnent, n’a toujours pas accompli les actes nécessaires pour reconnaître la responsabilité de la France, accepter les vérités de cette histoire tragique et assumer les crimes contre l’humanité qui ont été commis. Tandis que dans la société française les instrumentalisations de cette même histoire, les tentatives récurrentes de réhabilitation du colonialisme, les tentatives pour lui trouver des aspects positifs, les inacceptables silences… nourrissent des polémiques et des confrontations idéologiques permanentes et le choc recherché des mémoires. L’extrême droite y puise une énergie nauséabonde et nuisible.

On peut dire ainsi que l’histoire du colonialisme a durablement gangréné l’esprit de beaucoup de nos concitoyens. Elle pèse dans le présent et pour l’avenir, en France et en Europe. L’esprit du colonialisme, la stigmatisation de l’Islam et de l’immigration, les affirmations du racisme, de l’identité « pure », de la xénophobie, l’utilisation politique du mépris, de la peur, du pseudo choc des civilisations… tout cela permet de justifier la force, l’autoritarisme, les inégalités, la supériorité de l’homme blanc occidental… comme des référents politiques «naturels » alors qu’ils sont à la fois réactionnaires, illégitimes et particulièrement dangereux pour la société dans son ensemble. Pour toutes ces raisons, le Parti communiste français a décidé, voici maintenant de nombreuses années, d’ouvrir le débat, d’ouvrir ses archives, d’ouvrir les portes de son siège pour permettre un vrai travail et une confrontation politique sur le colonialisme et en particulier sur la guerre d’Algérie. Un groupe de travail sur ces questions s’est ainsi mis en place en 2001(2), qui a engagé une réflexion collective notamment avec des auditions de personnalités communistes ou non : Henri Alleg, Louis Baillot, Hélène Cuenat, Robert Davezies, Marc Ferro, René Galissot, Paul-Marie de la Gorce, Sadek Hadjeres, Alban Liechti, Paul-Louis Marger. pour en finir vraiment avec le colonialisme et ceux qui l'instrumentalisent… 

Des initiatives publiques ont été prises en 2004 pour le 50ème anniversaire du déclenchement de l’insurrection algérienne, en 2005 pour le 60ème anniversaire des massacres commencés le 8 mai 1945, et en 2012 pour le 50ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Ces initiatives ont permis, là aussi, l’intervention de personnalités reconnues pour leur engagement anti-colonial, pour leur expérience. En 2004 (28 octobre), avec Marie-George Buffet : Simone de Bollardière, Charles Silvestre, Sadek Hadjeres, Gisèle Halimi, André Mandouze. En 2005 (2 mai), avec Michel Duffour, Mehdi Lallaoui (président de l’association Au nom de la mémoire) et Henri Alleg ; des textes de Kateb Yacine furent lus par Sophie de la Rochefoucauld et Anne Alvaro, comédiennes. En 2012 (les 12, 13 et 14 mars), autour de Marie-George Buffet, Wassyla Tamzali (ex directrice des droits de l’Homme à l’UNESCO, écrivain, essayiste), Francis Wurtz et Omar Bouraba, jeune algérien acteur du mouvement social actuel, et puis un débat sur l’histoire avec Alain Ruscio (3), Clara Benoist (CGT et réseau d’aide au FLN), Claude Juin (4), Henri Alleg, Rosa Moussaoui, ainsi que de nombreux participants dans la salle (5).

Ce que le PCF a voulu faire, c’est un effort politique d’écoute et de débats pour soulever des problématiques, permettre des approches critiques, susciter des recherches et des témoignages. Personne, évidemment, n’eut la prétention de dire la (ou une) vérité, une fois pour toutes. Nous voulions clairement ouvrir le débat, participer sérieusement à la réflexion nécessaire, répondre aux interprétations et aux manipulations politiciennes de l’histoire, faire oeuvre utile. Autant dire que ce travail n’est en rien terminé. Il aura cependant permis d’avancer et notamment de clarifier notre appréciation sur le combat anticolonial du PCF. Ce qui a été fait, ce que nous avons entendu, nous a conduit à regarder notre passé avec un effort d’objectivité en mesurant les complexités et les contradictions de l’histoire. Les communistes acceptent les retours critiques, les analyses qui montrent les hésitations, les erreurs et les fautes politiques dans un parcours marqué par un combat de classe intense, dans un contexte violent de luttes de libération… et par la Seconde Guerre mondiale.
Nous considérons par exemple le vote des pouvoirs spéciaux en 1956 comme une faute lourde. Nous acceptons le débat, sur les formes de la lutte anticoloniale en France, sur le mot d’ordre « Paix en Algérie » quand certains soulignent qu’il aurait fallu dire « indépendance »... Nous mesurons que notre parti n’a pas été en mesure d’apprécier immédiatement et complètement la réalité du mouvement insurrectionnel en Algérie, en 1954…

C’est pour témoigner de l’évolution de notre réflexion et de l’approche du PCF que nous avons choisi de publier dans cette brochure l’intégralité des discours de Marie-George Buffet et de Michel Duffour.

Nos critiques, notre recul devant les faits n’épuisent cependant pas l’analyse et le jugement. Pourquoi 8 députés communistes – dont Maurice Thorez lui-même – n’ont-ils pas voté les pouvoirs spéciaux ? (6) Pourquoi ne pas inscrire la question des mots d’ordre essentiels et juger de leur bien-fondé dans le contexte politique national de l’époque et son évolution au cours des 8 années de guerre ? Quelles sont les vraies raisons politiques ou objectives des hésitations ? La complexité ne doit pas freiner l’effort de lucidité, mais elle doit être considérée comme un des aspects contraignants de l’histoire et de son interprétation. Trop nombreux sont ceux qui veulent s’en dispenser pour pouvoir charger le PCF de toutes les carences imaginables. Il en est même qui cherchent à accréditer l’idée selon laquelle le PCF aurait « condamné » le soulèvement algérien du 1er novembre 1954. Pour établir un minimum de vérité, nous publions intégralement, dans cette brochure, la déclaration de notre parti du 8 novembre 1954.

Enfin, nous publions aussi un article de Jacques Fath paru le 14 avril 2005 dans le quotidien algérien El Watan, et qui montre pourquoi le dirigeant communiste Charles Tillon, ministre de l’Air en 1945, n’a strictement aucune responsabilité dans les bombardements aériens sur la population algérienne dès le 8 mai 1945. Notre cher camarade, Pierre Kaldor, aujourd’hui disparu, fut un témoin direct (7), dans cet épisode dramatique, d’une « réquisition » des avions par Alain Diethelm, ministre de la Guerre, sur instructions du Général de Gaulle.

Le PCF constate et critique les insuffisances et les fautes commises. Mais il faut dire qu’il fut bien seul, en tant qu’organisation politique, a avoir adopté dans l’action un anti-colonialisme réel qui s’est traduit au fil des années par une contribution capitale à la mobilisation pour la paix contre une guerre cruelle et illégitime, et par l’indépendance de l’Algérie. Des personnalités, des organes de presse ont aussi participé à ce combat juste qui finit par rassembler l’immense majorité du peuple français. Sans les communistes, il en eut été autrement.

C’est notre dignité de communistes, ce sont nos valeurs et nos principes qui nous ont poussé à ouvrir ainsi le débat, à tout mettre sur la table – et qui d’autre ose le faire ? – tandis que d’autres préfèrent l’oubli ou choisissent au contraire une odieuse réhabilitation à des fins électorales et politiques. Certains allant même jusqu’à ériger des stèles pour graver dans le marbre le nom et les oeuvres des mercenaires de la guerre coloniale.

En prononçant, le 26 juillet 2007, le discours de Dakar marqué par l’arrogance du donneur de leçon, Nicolas Sarkozy, à son corps défendant, a suscité tant de vives réactions qu’il a nourri lui-même un débat, qui existait déjà, et qui ne s’éteindra pas. Face à toutes les tentatives pour faire exister les thèses les plus réactionnaires, l’exigence de l’esprit critique et la volonté d’en finir vraiment avec le colonialisme sont aujourd’hui en train de gagner. Ce combat a du sens parce qu’il porte aussi sur la conception que l’on se fait de la société, du monde et du changement pour lequel on s’engage.
 
Le Parti communiste français est bien décidé à mener ce combat pour la clarté politique, pour la vérité historique, jusqu’à son terme.

1. L’Humanité, 10 mai 2012. 
2. Constitué de Yasmine Boudjenah, Pascal Carreau, Hélène Cuénat, Jacques Fath, André Prenant ( ), Anne Preiss, Alain Ruscio, Claude Seureau.
 3. Auteur de Histoire de la Colonisation. Réhabilitations, falsifications, instrumentalisations, Paris, Éd. Les Indes Savantes, 2010.
4. Auteur de Des soldats tortionnaires. Guerre d’Algérie : des jeunes gens ordinaires confrontés à l’intolérable, Paris, Robert Laffont, 2012.
5. En mars 2012, les 3 jours pour l’amitié franco-algérienne furent ouverts avec un concert de l’Orchestre symphonique Divertimento dirigé par Zahia Ziouani, directrice de l’école de musique et de danse de Stains, premier chef d’orchestre invité de l’Orchestre national d’Alger.

 6. Gustave Ansart, Marcel Cachin, Laurent Casanova, Roger Garaudy, Auguste Lecoeur, Gabriel Roucaute, Hubert Ruffe et Maurice Thorez n’ont
pas participé au vote.
7. Nous disposons de son témoignage par écrit.

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