Sadek Hadjeres est un militant communiste algérien qui tient le blog socialgérie.
Un nouveau premier novembre, pacifique, reste à faire
Militant nationaliste de la
première heure, responsable durant la guerre de Libération nationale
qui a fait rallier, avec Bachir Hadj Ali, le Parti communiste algérien à la révolution armée, homme politique et
défenseur des libertés depuis l’indépendance, ancien secrétaire général
du Parti pour l’avant garde socialiste, analyste et
observateur averti, Sadek Hadjeres livre dans cet entretien sa
vision sur l’Algérie d’aujourd’hui.
Quelle lecture faites-vous des résultats de l’élection législative du 10 mai ?
A l’approche du 10 mai dernier, les discours officiels nous avaient annoncé un évènement aussi considérable que le 1er
Novembre 1954. Autrement dit, une rupture avec l’ordre
politique ancien, sinon dans les résultats, au moins dans les
intentions et les actes. Dans les faits, est-on sorti des incantations
gratuites ? Prenons comme référence les espoirs et la
mobilisation qui avaient accueilli l’insurrection nationale de
1954, pourtant pleine d’incertitudes. Combien d’Algériens vibrent
aujourd’hui d’enthousiasme pour «l’exploit» officiel du 10
mai ? Le pouvoir a eu «son» Assemblée. Combien d’Algériens
estiment après cela que l’opération électorale a redonné espoir et pesé
de façon significative sur le contexte national et la
conjoncture politique ? A peine si les méthodes de détournement du
scrutin ont été en apparence un peu moins grossières, pour que les
gouvernements d’Occident fassent semblant d’y croire.
Les problèmes et les motifs d’insatisfaction majeure restent les
mêmes. Dans cette stagnation, les traits négatifs du régime sont encore
plus ressentis, du fait que les effets d’annonce sont
démentis par les faits. Mais à y voir de plus près, cette
opération de «pub» peu convaincante a le mérite, par rapport aux
mascarades électorales traditionnelles, de servir de révélateur à
certaines évolutions notables. Je parle ici de la seule politique
intérieure. La politique extérieure, en dépit de ses insuffisances, est
relativement moins sujette à critique dans le difficile
environnement mondial et régional actuel, bien que fragilisée par
le discrédit de la politique intérieure aux yeux de la population
Pensez-vous qu’il y ait eu à l’intérieur des évolutions dignes d’intérêt ? En quoi ?
Je relève notamment deux constats. Le premier constat, côté
sphères dirigeantes, est qu’à la différence du triomphalisme habituel et
sur le même fond rhétorique, le discours et la
démarche officiels témoignent d’un ébranlement, d’une fausse
assurance devant les perspectives, d’une absence apparente de stratégie,
de réponses contradictoires au coup par coup à l’avalanche
des problèmes rencontrés. On a entendu des déclarations
pessimistes, des bilans de faillite – mais sans références concrètes ou
réelle autocritique – de la part de personnalités parmi les plus
haut placées ou les plus habituellement arrogantes
La «sortie» récente d’Ouyahia est un modèle du genre. Les
scandales et les remous spectaculaires sont devenus si fréquents qu’ils
ne surprennent plus, tout en suscitant davantage de
réprobation. Le «souk» de bas niveau qui secoue depuis des mois le
parti officiel usurpateur de légitimité du FLN historique, est l’image
ultime de la régression que ses inspirateurs
autoproclamés ont fait subir au pays. On aura tout vu en matière
de comédie empressée à délivrer à ses auteurs une virginité patriotique
et démocratique. De hautes personnalités du régime se
sont jointes pour la première fois à l’hommage annuel rendu à
Henri Maillot, alors que les officiels faisaient tout pour ignorer et
contrecarrer cette cérémonie. Jamais trop tard pour bien
faire, même si le geste de récupération politicienne a suscité la
réflexion ironique des camarades et compagnons du héros tombé au champ
d’honneur ! Où, dans quel camp étiez-vous et que
faisiez-vous, vaillants résistants de la dernière heure, lorsque,
le 4 avril 1956, ce jeune Algérien communiste et d’origine européenne,
officier de l’armée française et combattant des CDL, a
livré, avec ses camarades pour l’ALN qui en avait grandement
besoin, un camion bourré d’armes pris à l’ennemi, tout en haussant d’un
cran à l’intérieur et dans le monde la renommée de la cause
algérienne ? Les aveux explicites ou implicites émanant des
sphères dirigeantes témoignent d’une étape où nul ne peut plus cacher le
fiasco politique du régime. Il est désemparé,
écartelé dans les labyrinthes des luttes sévères entre les clans à
la fois rivaux et complices qui le composent. Les acteurs de ces
rivalités d’appareils au sommet, même les plus sérieux,
réalistes, ou simplement «repentis», sont dépassés par l’ampleur
d’une crise globale qui a fragilisé la nation, du fait que la majeure
partie des cercles dirigeants sont restés plus préoccupés
par la conservation de leurs pouvoirs et privilèges que par la
solution des multiples problèmes posés au pays et à la société. Bien
entendu, le peuple et l’Algérie font les frais de ce
désarroi
Un deuxième constat, parallèle au précédent et imbriqué avec lui,
concerne le cœur de la société à qui on a imputé souvent un scepticisme
et une passivité apparentes. Une évolution souterraine
a parcouru peu à peu les profondeurs de l’opinion. Les traits pas
encore bien perceptibles en sont mieux apparus à l’occasion de ces
«législatives», ils sont contrastés. Les avancées de prises
de conscience ont commencé à faire reculer les pesanteurs encore
présentes, mais elles pourraient s’accentuer et devenir enfin porteuses
d’espoir. Le vécu douloureux des décennies écoulées est
passé par là. Il explique la prudence populaire envers les
pulsions de violence rêvées par quelques médias qui suggéraient un
«copié-collé» de certains «printemps arabes» dévoyés
On s’en rend compte à travers nombre de luttes de masse,
associatives et revendicatives, de moins en moins spontanées, dont le
nombre et la qualité ne suscitent pas suffisamment l’attention et
les analyses médiatiques. Certaines initiatives de jeunes pour
améliorer avec de faibles moyens leur environnement urbain délaissé par
les autorités méritent tout simplement l’admiration et
l’émulation. Un critère fondamental a émergé dans les opinions, il
pèse de plus en plus en faveur du respect et de la défense des droits
humains et de la liberté d’expression.
On n’est plus à l’époque où, face à une société encore anesthésiée
par l’inexpérience et la subjectivité, certains courants idéologues
«éradicateurs et républicains» osaient condamner les
aspirations démocratiques et sociales, les présentant comme du
«droit de l’hommisme», un luxe pour un peuple comme le nôtre, tandis que
les théocrates intégristes les diabolisaient comme une
expression de «kofr», étrangère à l’Islam. La conscience a grandi,
malgré les leurres et les diversions, que seule une mobilisation (pas
seulement électorale) à la fois pacifique, consciente,
durable et multiforme, en un mot, un contre-pouvoir massif et
responsable, pourra mettre en échec les deux fléaux conjugués de
l’autoritarisme et de la corruption, devenus objectivement et aux
yeux de l’opinion la marque distinctive du régime.
Ces constats donnent-ils
suffisamment de chances à une sortie des blocages et du marasme révélés
par ces législatives ? Ne sous-estimez-vous pas les
obstacles ?
Les obstacles, y compris subjectifs, sont réels. Beaucoup
dépendra du poids respectif des facteurs en présence et des efforts
engagés dans un sens ou dans l’autre. Ce qui donne du poids
aux prises de conscience que je viens d’évoquer, c’est qu’elles
s’accompagnent d’une autre conviction émergente. Les acteurs sociaux,
échaudés collectivement par des expériences de violences
massives, ont commencé à comprendre que les mobilisations, depuis
toujours souhaitées mais entravées ou bloquées, doivent, sur le terrain
politique, apprendre à dépasser et déjouer les faux
barrages des divergences identitaires et idéologiques pourtant
réelles. Elles ont nourri les impasses tragiques et les échecs passés
des courants démocratiques ou d’opposition qui se sont
laissé tomber dans ce panneau. Ceux qui jetaient de l’huile sur le
feu n’ont pas cessé de prétendre que ce dépassement politique
qualitatif était impossible, «contre-nature». Or, si ces
questions identitaires ou idéologiques, épineuses et sensibles,
ont des bases objectives méritant des solutions appropriées et
responsables, elles ont été toujours artificiellement entretenues
et envenimées à des fins de division par les courants
antidémocratiques, prédateurs et compradores du pays, ainsi que par les
convoitises et les machinations des puissances occidentales et des
régimes réactionnaires arabes.
En fait, un trait commun continue à marquer négativement, même si
c’est à un moindre degré qu’auparavant, aussi bien les sphères
dirigeantes que les bases populaires, dans le sens d’une
confusion et d’une désorientation politiques qui les empêchent de
percevoir leurs intérêts profonds et légitimes. Les deux niveaux
subissent et alimentent une dépolitisation, une dévalorisation
de la scène publique, une déviation «bouliticienne» qui est à
l’œuvre depuis des décennies
Régression d’autant plus préoccupante que ce déficit imputable au
régime continue à compromettre le nécessaire combat commun face aux
risques géopolitiques externes et internes encourus par les
besoins du développement et de la sécurité du pays. Je n’ai pas
besoin de faire un dessin, ces risques ont fini par être mieux connus
parce que nombre d’entre eux se sont déjà matérialisés.
Mais depuis l’indépendance, les prises de conscience de ces
risques ont été tardives, on en a constamment sous-estimé la propagation
dévastatrice. Les mises en garde, celles des communistes en
particulier, contre les agissements impérialistes et
réactionnaires ont été souvent dédaignées et considérées comme des
arguments partisans de propagande. Aujourd’hui, alors que les foyers
potentiels d’incendie internes et externes sont plus visibles,
l’immobilisme hégémoniste des pouvoirs successifs, conjugué aux
différents sectarismes partisans dans le champ politique, est
devenu encore plus désuet et dangereux. Il continue à freiner et
dévoyer les intentions et les volontés affichées de «changement», un
concept d’ailleurs assez flou tant qu’on n’en définit pas
le contenu.
Votre analyse vous conduit donc en dernier ressort vers des conclusions pessimistes ?
Il n’y a pas de fatalité du meilleur ou du pire. Je préfère parler
de vigilance qui est une disposition à l’action, plutôt que de
pessimisme ou d’optimisme comme état d’âme. L’analyse sérieuse,
non prisonnière des seuls affects, incite à des approches
exigeantes de la part des citoyens et des acteurs politiques ou
institutionnels acquis à la nécessité d’un réel tournant démocratique
et social
Un tel vrai changement n’aura de chance que s’il est porté par la
capacité des acteurs à abandonner les recettes qui ont prouvé leur
inefficacité et leur nocivité. J’entends par là les
pratiques de compromission sans principe et les intrigues,
l’attrait pour les leviers illicites d’argent et de pouvoir, les
illusions envers les luttes de clans au sommet ou l’idée du
changement «ici et maintenant ou sinon jamais», le recours
spontané aux émeutes et autres feux de paille sans perspective claire et
sans lendemain, la passivité alimentée par l’attente fébrile
d’un grand soulèvement par télécommande et «presse-bouton», le
radicalisme verbal et de défoulement, aussi riche en lamentations
victimaires et accents d’indignation qu’il est pauvre en
clarifications et jalons politiques, capables d’ouvrir des
horizons de lutte et des sorties de crises au contenu véritablement
radical.
En cela, un «nouveau 1er Novembre» reste à faire, hors de la démagogie et de l’aventurisme, avec son plein contenu politique,
pacifique, démocratique et social.
Il ne s’agit pas de planifier un jour «J» qui amorcerait la
marche vers les vrais changements, mais d’œuvrer à préparer les
conditions et le succès d’un processus de durée imprévisible.
Les récents épisodes dans les pays de la région arabe témoignent
qu’il est nécessairement au long cours. Le changement est un processus
global à multiples dimensions, c’est un besoin structurel
de survie nationale. Il dépasse de loin ce à quoi les approches
simplistes ou intéressées voudraient le réduire, une question de délais
et échéances préétablies, de remplacement de personnes
usées par leur parcours, de relais de générations. Il ne s’agit
pas non plus d’alternance des clans civils ou militaires, des groupes
élitaires ayant déjà œuvré ou non au sein du régime. Il ne
s’agit pas davantage de simples capacités de manœuvres et de
manipulations institutionnelles ou médiatiques. La formule «tab djnane na» est trop courte s’agissant de personnes ou de
clans. Plus clairvoyant est de souligner « tab djnane en nidham».
Avec un gros problème : «Ma zal ma fteh rabî’ ach-cha’b» (le printemps du peuple n’a pas encore débuté) est une tâche considérable qui, quoique
proclamée, est en attente depuis sa mise entre parenthèses après l’indépendance «Nabni daoulat al qanoune, min ach chaâb ou ilach chaâb !» (Construire l’Etat de droit,
émanant du peuple et au service du peuple)
A l’ensemble des «forces vives», économiques, sociales, civiles et
militaires, politiques et associatives, de s’impliquer, chacune à sa
façon, dans la difficile action unie quotidienne. Les
cibles communes ne manquent pas, la vie et les multiples problèmes
posés à la nation et à la société en fournissent l’occasion par les
actes plus que par des proclamations indignées et
moralisantes.
A mesure de leur implication dans ces tâches, se distingueront les
courants réellement patriotiques, démocratiques et sociaux où qu’ils se
trouvent, quelles que soient leurs allégeances
partisanes ou institutionnelles et leurs horizons idéologiques.
Seuls s’en excluront les courants et les castes qui décident de rester
incrustés dans leurs privilèges et figés dans leurs
méthodes. D’un tel effort collectif peuvent émerger un Etat, un
régime et des pouvoirs politiques nouveaux capables avec la confiance et
l’appui populaires de sortir l’Algérie du bourbier du
«non développement humain», attesté par les classements et
statistiques internationales. Alors seulement les élections à tous les
niveaux ne violeront pas la souveraineté populaire et
iront au devant des attentes citoyennes.
Votre anticipation nous ramène à l’actualité.Beaucoup pensent que le statu quo qui résulte des législatives du mois dernier plonge le pays
dans l’inconnu et l’expose aux risques de violence ? Qu’en pensez-vous ?
La mise en perspective que je vous ai livrée, loin des fanfares
officielles du cinquantenaire, éclaire en effet les risques actuels
Aujourd’hui, comme après octobre 1988, une fausse façade
pluraliste laisse le pays exposé aux risques de violence et ce n’est pas
une plongée dans «l’inconnu». Le pays en a déjà vécu de
dramatiques antécédents. Ces risques étaient malheureusement
prévisibles depuis les premiers jours du cessez-le-feu de mars 1962 et
même avant, avec les crises et dérives internes au FLN-ALN
durant la guerre de libération. Les risques en ont été aggravés du
fait que après coup, loin de tirer les leçons de ces dérives,
difficiles à éviter et combattre en temps de guerre, les
protagonistes les ont perpétuées en temps de paix et
d’indépendance, par la militarisation des conflits internes. D’autant
plus pernicieuse qu’elle s’est accompagnée d’efforts systématiques
pour culpabiliser et discréditer les voies et solutions
politiques, accréditer dans tous les milieux l’idée que tout ne
s’obtient que par la violence armée, la ruse, le complot, le mépris
envers les chartes et les programmes adoptés par simple calcul
tactique et démagogique.
En 1989 les forces dominantes du pouvoir ont même ouvertement
violé leurs propres textes de lois qui se proposaient d’encadrer et
assainir le jeu politique pluraliste par des règles interdisant
les manipulations et récupérations identitaires. Elles ont tout
fait pour aiguiller le pays sur la voie de «l’afghanisation», en fondant
leur stratégie de pouvoir sur l’opposition des uns
aux autres entre islamistes, communistes, berbéristes, etc. La
même stratégie de division que celle appliquée traditionnellement,
souvent avec succès, par les diverses puissances impérialistes
et leur ersatz sioniste, avec une intensité accrue dans tout
l’espace arabe et africain au cours de la dernière décennie.
On a donc beau dire que le peuple algérien a été vacciné par ses
multiples épreuves, une haute vigilance s’impose plus que jamais aux
protagonistes quant aux risques d’un attachement non
raisonné à leurs seules allégeances idéologiques et identitaires,
placées en opposition agressive et essentialiste les unes contre les
autres. La seule protection efficace de la Nation et
de chacune des composantes exposées à ces risques est une
démocratisation politique exigeante capable de rendre vaine
l’exploitation des frustrations des peuples par les réactions
nationale et mondiale.
Jusqu’à présent, le pouvoir en place a cru efficace à sa survie
d’utiliser les réelles menaces extérieures comme un épouvantail pour
légitimer sa surdité aux aspirations populaires et au bon
sens. De leur côté, des courants patriotiques honnêtes ont une
perception abstraite de la « Démocratie » dans l’absolu en oubliant
qu’elle est une construction concrète au
milieu des écueils et des pièges géopolitiques qui cherchent à la
manipuler et l’annihiler. Les calculs simplistes des premiers et les
illusions des seconds sont dangereux pour la nation et
pour eux-mêmes, dans une Algérie fragilisée par la jungle de
l’économie informelle et l’emprise de l’ultralibéralisme mondial.
L’impérialisme n’est pas un fantôme qui se serait évaporé parce
que les peuples instruits par l’expérience ne l’aiment pas. Ce n’est pas
un simple slogan de propagande ou un mot qui brûle les
lèvres des naïfs ou des timorés qui à la façon de l’autruche,
croient conjurer le monstre en n’osant même pas prononcer son nom. A
travers l’OTAN, le FMI, les complexes militaro-financiers, les
réseaux supermédiatiques, les actions diplomatiques concertées,
les officines subversives et autres instruments d’ingérence bien
connus, les différents détachements de l’impérialisme
contemporain, diversifiés et en étroite concertation, sont encore
plus outillés et agressifs que ceux du siècle dernier. Ils ont mis en
place encore plus de mécanismes et de relais intérieurs
pour aiguiller la vie des pays ciblés vers la division et la
violence. L’Armée nationale comme forte institution soustraite au rôle
néfaste que certains voudraient lui faire jouer, sa
cohésion avec le peuple dans une voie démocratique, sont une des
meilleures garanties que le recours désastreux aux affrontements armés
et au terrorisme sera extirpé progressivement des
moeurs algériennes.
Vous aviez soutenu une
participation aux élections afin de marquer le début d’un travail de
conscientisation des masses. Quelle est votre analyse du
taux élevé des abstentionnistes ?
Le soutien apporté à une participation combative dans la bataille
électorale, c'est-à-dire impliquant non pas la course aux sièges en soi
mais des efforts pour élever la conscience politique
des citoyens, n’exclut pas le constat qu’il existe une forte
tendance en faveur de l’abstention ou du boycott. Je dirai même plus. La
compréhension des raisons profondes des courants
abstentionnistes est nécessaire à l’efficacité du travail visant à
convaincre les citoyens de sortir de la posture d’observateurs passifs,
chaque fois qu’elle laisse le terrain libre aux
adversaires d’une vraie démocratisation.
Le taux élevé d’abstention était prévisible, il ne s’agissait pas
pour autant de s’y soumettre mais de le comprendre pour aider les
citoyens à dépasser eux-mêmes les raisons d’une paralysie
politique inconsciente, qui ne touche d’ailleurs pas le seul
domaine des activités électorales. Il reflète la forte insatisfaction
des citoyens quant à leur vécu quotidien, leur opposition à
une gouvernance dominée par les pratiques d’autoritarisme et de
corruption, d’une part. D’autre part, il traduit une conscience encore
insuffisante des possibilités combatives d’expression, de
mobilisation et d’intervention active des citoyens dans le débat
national. Une session électorale ne se résume pas au geste de mettre un
bulletin dans l’urne ou à l’occasion offerte de ranimer
les débats publics juste le temps d’une élection. Les motivations
diversifiées des abstentionnistes, des plus simplistes et spontanées aux
plus argumentées politiquement, confirment qu’il reste
un travail politique important à réaliser pour que les citoyens
découvrent et défendent les droits et possibilités que chacun et chacune
portent individuellement et en groupe contre les
mœurs voulues de dépolitisation et de tripotages affairistes.
Ceci est un aspect de la question, il en existe un autre sur
lequel j’avais insisté en rappelant en avril et mai dernier ce que
Lénine qualifiait de «crétinisme parlementaire», c'est-à-dire les
limites de toute consultation électorale dans le cadre de régimes
ou de situations qui ferment le jeu démocratique. Le problème est plus
vaste que celui des élections dans de telles conditions,
c’est celui de l’articulation juste à réaliser entre l’utilisation
des réformes et la perspective révolutionnaire. Une articulation que le
mouvement national algérien avait souvent pratiquée
contre le régime colonial, quand judicieusement il ne faisait pas
des batailles électorales une fin en soi, mais un des moyens de faire
progresser au sein des masses les orientations et les
instruments politiques de la libération.
C’est dans cette perception révolutionnaire, tout en préconisant
une participation politique active des citoyens au lieu d’une posture
facile d’observateurs qui comptent les points, j’avais
insisté sur le fait que la ligne de clivage ne passait pas entre
votants et abstentionnistes. Elle passait entre participants ou non, les
autres jours de l’année, aux innombrables luttes
rassembleuses et convergentes pour en finir avec des pratiques
antisociales et antidémocratiques et avec le régime qui les conduit. La
ligne de partage entre citoyens (qu’ils soient votants ou
non votants) est tracée par la réponse au critère suivant: que
font les uns et les autres, une fois passée la fièvre électorale ou même
durant celle-ci ? Se croisent-ils les bras, ou
bien, en plus de leur droit et devoir aux commentaires, analyses
et prises de position, se battent-ils côte à côte dans les mille et une
initiatives que les couches populaires, les
associations, partis, syndicats et corporations engagent pour des
solutions à leurs problèmes, dans la perspective d’un plus grand
changement ?
Réformes ou révolution ? Comme entre les années 1920 et 1950 du
siècle dernier en Algérie, la question a sa meilleure réponse dans
l’articulation des deux, dans l’intégration des
acquis et des conquêtes réformistes dans la voie et l’esprit du
changement radical.
Vous avez appelé dans une de vos contributions parues sur le journal électronique La Nation
à la constitution d’un Front du salut national,
démocratique, social et souverainiste. Quels sont les préalables à
l’édification d’un tel front, dans un contexte marqué par une fermeture
du champ politique, une démission des élites, et une
démobilisation des masses ?
Les seuls préalables résident dans les orientations et les
objectifs d’action et non pas, comme on l’imagine souvent, dans des a
priori ou des préférences sur les composantes de ce Front. Les
composantes dépendent logiquement d’une convergence assez forte
sur les orientations. Et ces dernières, vous venez précisément d’en
désigner trois indirectement, à travers trois des maux qui
minent la nation et la société. Un Front pour le salut de la
nation, pour la promotion des droits et intérêts du peuple, c’est
l’instrument qui a vocation d’œuvrer aux trois besoins pressants
que vous avez définis en creux : ouvrir le champ politique,
encourager les élites à assumer leurs responsabilités, mettre en
mouvement les masses
La dénomination formelle d’un tel Front, laissée au choix de ses
composantes, a comme seule fonction de refléter le caractère vital des
objectifs consensuels, c'est-à-dire la sauvegarde des
intérêts nationaux et de leur contenu démocratique et social.
Voilà pour le contenu, rendu, selon moi, incontournable et dicté par le
marasme aigu actuel.
Maintenant, à propos du scepticisme toujours soulevé par des
projets de Front de ce genre, deux remarques sur l’esprit et les
modalités de réalisation et de fonctionnement d’un Front
caractérisé par un tel contenu. La première est qu’il ne peut
émerger sous l’effet d’une baguette magique tenue par un sommet
d’initiateurs. La seconde est qu’il ne peut naître et se consolider
que par l’action autour d’objectifs concrets aux niveaux des bases
et des sommets. Pourquoi cela ?
Les déceptions, alimentées par tant d’expériences inabouties, ont
en général pour cause la croyance qu’un front efficace tomberait du ciel
ou plus exactement d’heureux accords sur le papier et
de décisions volontaristes d’états-majors politiques touchés
brusquement par la grâce unitaire, souvent d’ailleurs pour des raisons
beaucoup plus tactiques et manœuvrières que par souci d’unité
d’action. Or l’édification d’un Front qui mérite ce nom est
essentiellement et d’abord un processus sinueux et difficile de luttes
et d’efforts dans le champ social et politique, qui en prépare
l’émergence et le succès sur le terrain, dans des formes souvent
imprévues.
Des fronts ont existé et en existent toujours ?
Je crois pouvoir constater que depuis plusieurs années
l’aspiration à un vrai Front, résultat d’efforts convergents et
prolongés, a progressé dans le pays, par rapport à des fronts qui n’en
ont
que le nom séduisant.
Je n’ai pas innové en proposant un Front. Un grand nombre d’appels
similaires ont été et sont de plus en plus lancés venant d’horizons
patriotiques différents. La tendance est
encourageante, elle signifie non seulement que le besoin est
ressenti, mais aussi que son contenu suggéré est plus démocratique, plus
fédérateur par rapport aux quelques organisations
politiques (FLN, FFS, FIS ou RCD), dont la dénomination de Front
ou de Rassemblement recouvrait en fait des réalités de partis avec un
éventail idéologique, doctrinal et politique plus limité,
même si à leurs yeux l’intention frontiste n’exclut pas un
rassemblement sous leur hégémonie.
Ce qui a progressé et n’était défendu dans le passé que par une
minorité progressiste, c’est le projet d’un front à composantes
politiques, idéologiques et humaines diversifiées. C’est la
fondation d’un nouveau Pacte national à partir d’efforts et
d’échanges émanant d’horizons multiples, tels que l’a suggéré entre
autres le cercle d’intellectuels «Nedjma». Il reste cependant
évident que, face à l’immobilisme d’un régime qui ne se réformera
jamais de lui-même, c’est seulement adossés à un puissant mouvement
social et politique de masse que les orientations d’un
nouveau Pacte national déboucheront sur un vrai changement.
Cela amène à récuser et éviter une logique trop simple
d’alignements avant tout organiques et partisans qui ont fait long feu,
victimes des tensions hégémonistes. Et à donner d’autant
plus de poids et prioritairement à l’engagement réel envers des
plateformes d’action correspondant à des objectifs concrets communs
assurant une cohésion davantage fondée sur la clarté des
intérêts et du libre consentement.
Il n’est pas besoin de faire une liste théorique de ces objectifs
communs, il suffit de puiser dans la vie qui appelle aux rapprochements
dans l’action et pour l’action. Il suffit de
tirer les leçons des échecs douloureux pour tous qui ont résulté
des divisions entretenues entre «laïcs» et «islamistes» ignorant
l’essentiel de leurs problèmes et intérêts communs, ou entre
chômeurs et titulaires déjà d’un emploi, entre femmes
travailleuses ou au foyer, porteuses de voiles ou non, entre disparus et
victimes du terrorisme ou des forces répressives, entre citoyens
et militants imprégnés par les trois langues et cultures
vernaculaires utilisées en Algérie, etc.
Cette diversité enrichissante ne signifie pas que le Front large,
exigé par les problèmes sérieux qui assaillent chaque citoyen, ne doive
pas et ne puisse pas reposer sur un socle politique et
idéologique minimum, exigeant pour tous, qui assure sa cohésion,
son dynamisme, son efficacité. Au minimum, le programme d’un tel front
ne peut revenir en arrière sur l’orientation fondamentale
démocratique et sociale nettement proclamée le premier novembre 54
et entérinée à l’indépendance. Mieux, les citoyens algériens sont en
mesure d’affiner ces orientations à la lumière des leçons
à tirer des avancées et des reculs opérés au long des cinquante
années après l’affirmation de ces principes généraux.
Ainsi, forte de ces enseignements, une Algérie guidée par des
orientations frontistes serait mieux armée pour traiter nombre de
problèmes qui la divisent et l’affaiblissent. Comme par exemple
consolider et protéger les libertés d’opinion, de conscience, les
droits de chacun et chacune à assumer ses propres convictions
religieuses et philosophiques dans des modalités qui respectent
celles de ses autres concitoyens, de garantir et protéger
l’égalité de droits juridiques et civils entre algériens et algériennes.
Ou encore mieux définir et articuler les relations et les domaines
respectifs des secteurs public et privé dans l’intérêt du
développement économique et social et de la souveraineté
nationale. On sait à quel point les débats et les luttes dans ce
domaine ont été dévoyés aux dépens des capacités productives du pays par
des acteurs appartenant aussi bien au secteur public
que privé, lorsque pour justifier leur domination, ils sont
préoccupés chacun de critiquer les carences et malversations du secteur
concurrent au lieu aussi de voir, corriger et assainir
les carences de leurs propres secteurs. En fait, cette vision
hégémoniste d’un gagnant et d’un perdant a été encouragée par les
orientations officielles qui ont laissé se développer dans l’un
et l’autre secteur des pratiques nuisibles à une stratégie de
développement économique et de souveraineté nationale.
Malveillance et laisser-aller ont en effet prévalu sous couvert
d’une illusoire régulation laissée à une fausse « Trilatérale » dominée
par les barons du public et du privé. La
troisième composante de cette instance, celle qui aurait dû
représenter les salariés ou travailleurs indépendants, pourtant
massivement concernés par le sort de l’économie, a été totalement
privée de son rôle d’incitation, de contrôle et d’arbitrage, par
la caporalisation de l’UGTA et des autres instances représentatives. Ce
dernier exemple pose la question de ce que devrait être
la mission cruciale d’un Front de sauvegarde nationale dans toutes
les activités d’intérêt général : proposer, promouvoir et protéger les
moyens concrets d’un contrôle démocratique. Un
contrôle appuyé par une large mobilisation la fois étatique et
populaire, qui vise à contrecarrer les actes de corruption et
d’arbitraire et à encourager les coopérations et les
initiatives d’assainissement de la vie économique, sociale et
politique, prioritairement au bénéfice des couches laborieuses et
économiquement défavorisées qui ont porté le fardeau le plus
lourd des dernières décennies.
L’Algérie célèbre cette année son 50e anniversaire d’indépendance. L’avons-nous ratée, cette indépendance ?
Je crois comprendre ce que vous voulez dire. Ce que nous avons
raté en effet, ce n’est pas l’accès à l’indépendance, conquise au prix
fort contre un colonialisme qui a été le grand perdant.
Mais nous n’avons pas gagné tous les fruits escomptés pour des
sacrifies aussi élevés. C’est humiliant. Pas tellement quand on entend
certains des nôtres dire, par dépit, que nous étions mieux
du temps de la France, souvent parce qu’ils n’ont pas vécu,
heureusement pour eux et grâce à l’indépendance, l’enfer matériel et
moral de l’époque. C’est surtout très douloureux parce que ce
n’était pas fatal.
Douloureux quand on voit des personnages ou des cercles
prétendument de «l’élite» ou bombant des torses patriotiques, trouver
normal de se courber devant les représentants des intérêts de nos
anciens oppresseurs, trouver normal qu’une partie vitale de nos
ressources nationales ait été sur le point d’être bradée sans le sursaut
de fierté et de bon sens qui a atténué et peut-être
différé seulement le massacre. Douloureux de voir des «élites»
indifférentes et souvent méprisantes envers les enfants et
petits-enfants des millions de combattants armés et non armés qui nous
avaient libérés. Douloureux de penser que les cercles dirigeants,
qui se sont éloignés du rêve des millions d’hommes et femmes qui n’ont
pas raté la libération indépendantiste, nous ont fait
rater la libération démocratique et sociale, la construction
nationale et citoyenne.
Nous serions des moutons si la majorité d’entre nous ne
s’interrogeaient pas sur le pourquoi d’un renversement aussi injuste et
coupable. Pourquoi «la Mecque des révolutionnaires» est-elle
descendue dans le peloton de queue des attardés du développement
global ? A cela, il n’y a aucun secret ni impossibilité de comprendre.
Sauf pour ceux que leurs intérêts inavoués, ainsi que ceux de leurs think tanks, «experts » et autres valets médiatiques, n’incitent pas à voir en face la vérité.
Quelle est cette vérité ?
La vérité est simple, limpide. C’est bien pourquoi les
responsables des dégâts de grande ampleur ont tout fait pour brouiller
les pistes d’analyse de la révolution nationale, effacer et
déformer les faits historiques, masquer les mécanismes de la
contre-révolution.
Au cœur de cette vérité objective, une réalité, celle des intérêts
de classe, à l’échelle nationale ou au niveau mondial. Visibles ou
dissimulés, ces intérêts ont été et sont toujours présents,
sous-jacents et influents sur les rapports de force et les
orientations du mouvement de libération. Les intérêts de classe,
légitimes ou non, ont d’abord été sources de tensions ou de faux pas
avant l’indépendance, mais gérés de façon relativement positive
par les composantes du mouvement national dans l’intérêt de l’unité
d’action anticoloniale. Puis après l’indépendance, ils ont
été à la base de graves insuffisances et nuisances pour les
intérêts de la nation, y compris dans les périodes initiales les plus
fastes de la reconstruction de l’économie et de l’édification
nationale. Peu de secteurs patriotiques peuvent nier les effets
désastreux des politiques engendrées par l’évolution décennie après
décennie vers les formes les plus régressives d’un
capitalisme autochtone sous-développé, parasitaire et compradore, à
l’ombre du capitalisme mondial de plus en plus ultralibéral et
néo-impérialiste.
Toutes les couches de la société algérienne en ont souffert à des
degrés inégaux, à part les profiteurs directs ou indirects des pratiques
de rapine et de dilapidation des ressources
nationales. Mais les couches laborieuses urbaines et rurales, une
partie des couches moyennes, leurs organisations sociales et politiques
en ont subi les lourds préjudices encore plus que
toutes autres forces sociales, en même temps que se poursuivait le
démantèlement ignoble du tissu industriel et des autres capacités
productives. Tout ceci, au grave préjudice du destin
national dont les structures et organisations progressistes
étaient les défenseurs les plus conséquents et les plus désintéressés.
Faut-il rappeler que dès novembre 1962, le PCA fut la première
formation politique interdite. Le pouvoir Benbella, socialiste
«spécifique» mais pas seulement lui, craignait les résultats des
mobilisations démocratiques de masse réussies par le PCA et le
quotidien Alger républicain, que le nidham FLN ne parvenait pas – et
pour cause, vu ses orientations – à susciter dans la
population. Quelques semaines plus tard, ce fut au tour de l’UGTA
dont le Congrès subit les violences des hommes de main commandités par
le «BP» du FLN, agissements de voyous politiques venus
«récompenser» les dirigeants syndicaux qui, par nationalisme
imprudent et naïf, avaient en 1956, peu après le courant messaliste de
l’USTA, cautionné, sinon activement organisé la scission
syndicale et l’allégeance à la CISL-CIA.
Faut-il rappeler que le premier parti victime de l’opération
«pluralisme de façade» après Octobre 1988 fut le PAGS, prélude à
l’accentuation catastrophique des mœurs dictatoriales durant
la décennie 1990. Ce n’était que le prolongement logique d’un
choix stratégique et de classe accentué en Octobre 1988 par le pouvoir
soucieux de se survivre et certains rouages dévoyés de
l’institution militaire, affolés par le soulèvement massif d’une
jeunesse et d’un peuple excédés. Ils ont durement réprimé le mouvement
syndical et politique dont les revendications et les
démarches fortes et responsables, notamment dans la zone
industrielle et agricole de l’est Mitidja, étaient exemplaires, après
avoir défendu depuis janvier 1966 (fondation du PAGS) le chemin
pacifique et démocratique d’une réelle issue de crise aux impasses
nationales créées lors de l’été 1962 et aggravées par le 19 juin 1965.
Les cercles dominants du pouvoir ont choisi en 1988,
tout en réglant au passage leurs inavouables comptes internes, de
monter des scénarios émeutiers à la faveur desquels ils mettaient en
selle les courants intégristes grossis à la fois par le
mécontentement social et politique et par le «grand jeu»
international de l’axe CIA-Saoudien.
On en connaît les suites, pour l’Algérie comme pour les autres
peuples du Grand Moyen Orient américain, jusqu’aux «printemps» arabes
qui vivent aujourd’hui les facettes contradictoires de
grands espoirs et progrès entravés de lourdes et sanglantes
déceptions. Les leçons ont-elles été toutes tirées ? Jusqu’aux racines,
c'est-à-dire la relance sans concession de l’élan
démocratique, social et unitaire, contre un système de domination
mondiale sans pitié, entré en crise aiguë et désormais contesté partout
par un nouveau cycle de prises de conscience et de
mobilisations populaires.
Est-il trop tard pour tout réparer ?
L’Algérie n’a pas encore tout perdu. Son potentiel est toujours
là, avec des jeunes générations qui malgré le pilonnage idéologique qui
cherche à les dévoyer, sont avides de savoir, à l’écoute
du monde et ne sont pas prêts à avaler n’importe quelles vieilles
sornettes. Ils peuvent plus rapidement accéder à l’expérience politique
des anciennes générations lorsqu’elles tirent les
enseignements des échecs, divisions et illusions passées, comme le
font de nombreuses analyses et travaux sérieux. Ces derniers de plus en
plus nombreux, incitent comme le font les
contributions précieuses et fouillées de Hocine Bellaloufi et de
Abdelatif Rebah, à l’exercice difficile mais nécessaire de déjouer les
approches sectaires aussi bien qu’opportunistes face aux
situations et problèmes politiques et économiques de l’Algérie
contemporaine dans un contexte régional et mondial de plus en plus
hostile et complexe.
Les responsables des échecs nationaux de grande ampleur n’en
tireront pas d’eux-mêmes les leçons pour prendre des initiatives dénuées
d’esprit de manœuvre. C’est le peuple, les citoyens avec
leurs organisations présentes ou à venir et leurs vraies élites
qui le feront, si elles se retroussent les manches en joignant les actes
aux prises de conscience.
Ce n’est pas non plus pour l’essentiel des textes de Constitutions
ou de chartes nouvelles ou le rajeunissement des cadres qui par eux
seuls créeraient l’évènement. Si on avait appliqué
seulement le quart des dispositions et des annonces positives
contenues dans les anciennes Constitutions successives, si on avait
écouté au moins une partie des orientations préconisées par des
cadres des anciennes générations, si parmi les jeunes on avait
soutenu les cadres honnêtes au lieu de les vouer à la prison, à la
démission et à l’exil tandis qu’on chouchoutait les
jeunes « Golden Boys » des cercles rapaces à la mode Khalifa,
prêts à vendre le pays au plus offrant, le peuple et l’Algérie auraient
connu des jours meilleurs et plus assurés.
Un autre fantasme démobilisateur et destructeur est celui qui
divise l’Algérie en deux mondes, l’un monopolisant la vertu et l’autre
le vice. Ainsi par exemple se partagerait le monde
entre militaires et civils, et tant d’autres lignes de partage
comme entre ceux qui professent les mêmes idées que soi- même et tous
les autres qui ne les partagent pas, évidemment hérétiques
et voués au «takfir» laïc ou religieux, selon la rengaine : «Qui
n’est pas avec nous est contre nous». Quand apprendrons-nous à juger aux
actes et non aux étiquettes distribuées selon des
critères diviseurs ?
Ce qui est vieux et périmé, ce qui est mauvais pour le pays,
contraire aux enseignements aussi bien de la modernité que des
traditions, aux exigences de la paix et du développement, c’est
le mode de gouvernement actuel et le système qui l’a engendré. Il
rend obsolète, improductif et dangereux tout ce qu’il prétend régenter
selon son bon plaisir et ses intérêts de classe et de
caste.
Après cinq décennies éprouvantes, les temps du changement
démocratique et social ont mûri. Il reste à ceux pour qui il est un
besoin vital, à apprendre avec patience de l’expérience des uns et
des autres et à lutter ensemble avec fermeté pour concrétiser un
nouveau cycle historique plus humain et plus juste.
Nadjia Bouaricha
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