Pieds-Noirs. Le désir de tisser des liens entre « frères des terre ».
Martigues accueillait, samedi, l'assemblée générale de
l'association des pied-noirs progressistes et leurs amis. Il était
question de mémoire, d'amitié franco-algérienne, de lutte contre la
montée des idées d'extrême droite.
Il y a, entre eux, ce lien indicible et un peu mystérieux qui unit
les enfants d'un même pays natal. On le sent à la façon dont ils se
présentent, en déclinant leur ville de résidence en France et celle de
leur enfance, en Algérie. Mais il y a plus. Un élan de générosité, de
solidarité, de fraternité. Fraternité : ce mot était sur toutes les
lèvres, il semblait imprégner chaque geste, samedi, à Martigues, lors de
l'assemblée générale de l'Association des Pieds-Noirs Progressistes et
leurs Amis (ANPNPA). Née il y a cinq ans, à l'initiative d'une poignée
d'amis, l'association a bien grandi. Elle compte aujourd'hui près de
trois cents membres et multiplie les rencontres, les initiatives, les
voyages de l'autre côté de la Méditerranée. Ses objectifs ? «
Renforcer les liens d'amitié entre les peuples français et algérien et
lutter contre la montée du racisme, de la xénophobie, des idées
d'extrême droite », résume son Président, Jacques Pradel,
un homme chaleureux, natif des Hauts Plateaux. A l'écouter, à le voir
plaisanter en arabe dialectal avec ses amis, on se dit qu'on est aux
antipodes de la caricature du pied-noir raciste et nostalgique de la
colonisation véhiculée par ces officines d'extrême droite qui pullulent
sur la côte méditerranéenne.
Hôte de la rencontre, le Député Maire communiste de Martigues, Gaby Charroux, lui-même natif d'Alger, se réjouit de voir cette caricature battue en brèche. «
Cette association est dans le souvenir, la mémoire, mais surtout dans
la projection vers un avenir de réconciliation. La libre décision des
peuples et leur indépendance sont des vérités de l'histoire, expose
l'élu. Il y a eu chez de nombreux pieds-noirs une crispation, une
souffrance immense qui n'a jamais été dépassée. Cette souffrance est
manipulée par l'extrême droite. Au contraire, l'Association des
pieds-noirs progressistes porte des valeurs de solidarité, de
fraternité, d'ouverture. Elle prouve que tous les pieds-noirs ne sont
pas enrôlés dans les bataillons d'électeurs du Front national. »
Aux fondements de cette association, il y a bien le désir de « faire entendre une autre voix ». «
Bien sûr, tous les pieds-noirs ne sont pas des nostalgiques de l'OAS.
Mais je me sens insulté par les agissements des pieds-noirs liés à
l'extrême droite. De notre côté, nous voulons tisser des liens avec le
peuple algérien, jeter des ponts entre gens nés sur la même terre, entre
"frères de terre". En réalité, de très nombreux pieds-noirs pensent
comme nous, sans oser l'afficher. Ils ne franchissent pas le pas de
s'organiser », regrette Jacky Malléa, venu de
Perpignan. Né à Guelma, profondément marqué par les mascarade de mai
1945 dans cette région, il est une figure de la lutte contre les
initiatives des nostalgiques de l'Algérie française soutenues, dans les
Pyrénées Orientales, par les élus UMP. Les histoires singulières de ces
pieds-noirs progressistes se conjuguent avec des cheminements politiques
divers, mais toujours guidés par l'ouverture à l'altérité, alors même
qu'ils ont grandi dans une société coloniale fondée sur l'exclusion de
cet « autre » radical qu'était l'indigène. « Nous avons
tous subi un drame, mais nous n'avions pas tous les mêmes armes pour y
faire face, prendre de la distance. Nous n'étions pas une population
éduquée, politisée, éclairée », remarque Marcel Gonzales, parti d'Oran en 1962, à l'âge de seize ans. «
Dans bien des cas, l'émotion a supplanté à la réflexion. Moi, j'essaye
de tempérer l'émotion. Entre les tripes et la tête, il y a le cœur.
J'essaye de penser avec le cœur. »
Alors que le FN s'apprêtait à faire main basse sur le canton de
Brignoles, dans le Var, la montée des idées d'extrême droite était dans
toutes les têtes. Avec la certitude que cette « autre voix pied-noir »
peut contribuer à faire reculer le racisme, la xénophobie et à dissiper
le pesant climat d'insécurité politique qui tend à s'installer en
France. Très investie, à Grenoble, dans les réseaux de soutien aux
migrants, Marie-Thérèse Lloret appelle à «
combattre cette idée que les pied-noirs seraient captifs de l'emprise du
FN, surtout à la veille d'élections municipales et européenne dont
l'extrême droite veut faire une démonstration de force ». Dans le Sud en particulier, le Front national, épaulé par les « durs »
de l'UMP, a réussi à faire de l'instrumentalisation et de la
falsification du passé colonial, un juteux fond de commerce électoral. « La question des rapports entre la France et l'Algérie est l'un des points de blocage qui explique cette montée du FN », assure le toulousain Michel Pradel. Trop de non-dits, trop de rancœurs, qui ont crée des « zones de pétrification », analyse le psychiatre Martine Timsit.
Venu en ami, Rémi Serre, un fondateur de
l'Association des anciens appelés d'Algérie contre la guerre (4ACG),
croit lui aussi que les spectres du passé colonial ont, aujourd'hui
encore, des effets politiques délétères. « Le FN enregistre des
scores dépassant les 30% dans des villages où ne vit pas un seul
immigré. Nous devons nous unir et agir avant qu'il ne soit trop tard
pour endiguer cette haine de l'Arabe qui gangrène nos campagnes », insiste ce placide paysan du Tarn. Mail quel combat antiraciste dans un contexte de crise profonde ? «
Le racisme ordinaire qui court les rues est exacerbé par la pauvreté,
le chômage, les politiques d'austérité. Notre combat a besoin
d'interface politique », pense Germain Serna. Du
passé colonial à la réparation du lien social… tous veulent briser les
murs et bâtir des ponts. Ici, comme entre les deux rives de la
Méditerranée.
--> Contact : contact@anpnpa.org
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