Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs les ministres,
Depuis le début de ce quinquennat l’électorat de
gauche, celui qui a porté le Président de la République au pouvoir, se
sent trahi. Un électorat qui a exprimé le rejet de la politique conduite
en s’abstenant massivement aux municipales. C’est l’expression d’une
grande colère, pour ne pas dire d’un rejet total de tout un système
politique qui est adressé par les électeurs qui avaient nourri des
espoirs de changements en 2012.
La réponse de l’exécutif a d’abord été d’affirmer que
ce n’est pas sa politique qui a été sanctionnée mais son manque de
pédagogie. Avec pour réponse, un changement d’équipe. Certes, Monsieur
le premier ministre, vous dressez aujourd’hui un constat implacable des
effets de la politique conduite depuis 22 mois. Faut-il rappeler que
nous n’avons eu cesse de vous alerter ? Pas une fois, vous n’avez pris
en compte les avertissements des députés du Front de gauche.
Mais aujourd’hui après votre réquisitoire, vous nous
proposez une accélération des réformes et un renforcement des
orientations fixées par les pactes d’austérité et de responsabilité.
Il y a là plus qu’un malentendu, il y a une rupture
avec les attentes populaires. Aucune réponse n’est apportée à la
souffrance sociale, à la détresse économique, au déclassement.
A l’opposé, il est de la responsabilité des forces de
gauche d’ouvrir un autre chemin pour construire une nouvelle
alternative à gauche.
Les Français, dans leur majorité, veulent un
changement de cap net et clair en faveur du progrès social et de la
lutte contre le chômage. Chômage qui ne cesse de grimper avec un record
de 3,34 millions de demandeurs d'emploi sans activité recensés fin
février.
Les Français ne veulent plus des stratégies du
désespoir et de la renonciation qui ont conduit où nous en sommes. Ils
ne veulent plus des promesses trahies, de l’impuissance publique
organisée, des égarements et reculades dictées par la panique et des
calculs à courte vue.
La situation de notre pays requiert une grande
détermination pour répondre aux besoins populaires. Ces besoins, nous
les connaissons tous : l’emploi, le pouvoir d’achat, le logement, la
santé, les services publics…
La dérive politique qui a conduit le précédent
gouvernement à mettre ses pas dans ceux de Gerhard Schröder et de Tony
Blair doit prendre fin. Sans changement politique, ce nouveau
gouvernement sera lui aussi condamné à l'impuissance, sans porter de
nouvel espoir pour le peuple et pour le pays.
Il y a urgence à agir pour redonner du souffle à
notre économie, combattre les inégalités, développer nos services
publics, défendre notre modèle social.
*
Le premier défi à relever est une réorientation de la politique européenne, sans laquelle le changement ne sera pas envisageable.
L’adhésion de François Hollande au pacte Sarkozy/Merkel est l’acte fondateur, le «péché originel» de ce quinquennat.
Candidat, il s’était pourtant engagé à renégocier le «
Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance » (TSCG). Ce
renoncement a empêché d’emblée la réalisation du « changement » promis
pendant la campagne présidentielle. Il n’y a eu ni renégociation, ni
changement, mais bien continuité avec un projet européen qui se confond
de plus en plus avec un simple programme d’austérité.
Il appartient à votre gouvernement, et bien sûr au
Président de la République, de rebattre les cartes, de changer
radicalement de stratégie. Il faut convaincre nos partenaires de la
nécessité de rompre, dans l’intérêt de tous, avec la politique de
déflation, de stagnation et de chômage poursuivie aveuglément à
l’échelle du continent. Pas à la marge, comme vous l’avez proposé, mais
avec des mesures fortes rompant avec la stratégie de soumission aux
dogmes de l’orthodoxie budgétaire et libérale.
Aujourd’hui, une grande partie des peuples européens
refuse les politiques d’austérité inhumaines qui leur sont imposées. Ils
trouvent légitimement intolérable que l’on trouve toujours des
milliards pour financer les banques alors que la population est mise au
pain sec et à l’eau.
Les 60 milliards d’euros de coupes budgétaires déjà
opérées sur ordre de Bruxelles ont eu des conséquences désastreuses sur
les services publics, la sécurité sociale, nos collectivités
territoriales. Cette cure d’austérité, la plus drastique de notre
histoire récente, appauvrit notre pays, détruit l’emploi et les
entreprises, sème la colère et la résignation.
Mais il ne suffit pas aux marchés financiers et aux
multinationales de promouvoir l’austérité. Ils ont désormais une
nouvelle exigence. Pour tenter de répondre à la crise des débouchés
qu’ils ont eux-mêmes créée, ils voudraient imposer un traité de
libre-échange transatlantique.
L’objectif de ce traité est de créer une vaste zone
de libre-échange par le démantèlement des règles tarifaires,
réglementaires, environnementales qui protègent nos salariés et les
consommateurs.
La perspective de conclusion de ces négociations,
menées dans la plus grande opacité et hors des règles démocratiques les
plus élémentaires, fait peser une lourde menace sur les règles de santé
publique, écologique, sociales et culturelles en France et en Europe.
Ce traité de libre-échange entre l’Europe et les
Etats-Unis nous entraînera encore plus loin dans la folle mise en
concurrence généralisée des pays et des peuples et l’obsession de la
compétitivité et du libre-échange intégral. Il fait courir un grand
péril aux peuples de France et d’Europe.
Le groupe de la Gauche Unie Européenne avec son
candidat Alexis Tsipras sont déterminés à le faire connaître au plus
grand nombre.
La France doit peser de tout son poids pour s’opposer
à ce projet qui barre la voie à toute perspective de construction d’une
Europe sociale. Cette Europe sociale qui implique au contraire de
considérer la protection sociale, le salaire minimum, le dialogue
social, les négociations collectives et le droit social comme autant de
points d’appuis pour une avancée de civilisation.
Les chefs d’Etats et de Gouvernements ont promis une
feuille de route sur la dimension sociale de l’union économique et
monétaire. Ils ne l’ont toujours pas produite faute de volonté
politique.
*
Le second enjeu majeur est celui du redressement industriel, de la lutte contre le chômage et de la transition énergétique.
Le temps est venu d'un tournant économique majeur et
de l'abandon du pacte de responsabilité annoncé le 14 janvier dernier.
Un pacte, en réalité, d’irresponsabilité qui prévoit la suppression
totale et sans contrepartie des cotisations familiales employeurs et qui
n'offre aucune perspective en termes de création d'emploi.
Ce n’est pas par la baisse des dépenses publiques et
la recherche de compétitivité que l’Europe et notre pays pourront sortir
de la crise mais par la relance de l'investissement public et de la
consommation, le relèvement des salaires, l'innovation et la promotion
de l'emploi qualifié...
Pour cela, il faut desserrer l'étau des contraintes
que fait peser la financiarisation de l'économie sur l'activité et la
pérennité de nos entreprises.
Comment la gauche pourrait-elle souscrire à
l’antienne de la réduction des dépenses publiques qui réduit le
périmètre des services publics et fait la part belle à la
marchandisation de la société ? Une marchandisation qui sera amenée à
s’accroître avec le basculement de bon nombre de collectivités dans
l’escarcelle de la droite, dont les programmes portent la suppression de
bon nombre de services publics locaux.
Définitivement l’intérêt privé primera alors sur
l’intérêt général, les logiques de rentabilité primeront sur les
logiques de solidarité.
Ce primat sera renforcé par la feuille de route que
vous venez de dresser sur l’évolution institutionnelle. Sous couvert de
modernisation, l’objectif recherché est de créer des territoires
d’excellence, de compétitivité au détriment d’une France équilibrée et
solidaire.
Il faut que la gauche retrouve l'audace d'affirmer,
contre l’artillerie lourde des idéologues libéraux déguisés en
éditorialistes, qu'il existe une alternative à la fuite en avant
libérale vers toujours plus d'inégalités, toujours plus de précarité,
toujours plus de misère... pour le seul bénéfice d'une poignée de
nantis.
Ainsi, avez-vous confirmé votre volonté de vous
attaquer au coût du travail en multipliant les exonérations de charges
des entreprises. Et pas un mot sur le coût du capital ! N’est-ce pas le
meilleur révélateur du choix libéral qui est le vôtre ?
Pourtant, les arguments en faveur de la baisse des
cotisations sociales comme moyen de lever les freins à l'embauche, de
créer ou sauvegarder des emplois ne reposent sur aucun constat
empirique. Vingt ans d'exonérations de cotisations sociales sur les bas
et moyens salaires n'ont pas permis de sortir de l'ornière. Bien au
contraire, elles ont eu pour résultat de paralyser notre économie en
favorisant les bas salaires, de dissuader le développement de l'emploi
qualifié, de fragiliser notre système de protection sociale...
Des solutions alternatives existent. Nous les porterons avec tous ceux qui souhaitent se rassembler à gauche.
Pour baisser les charges financières des entreprises,
nous proposons un nouveau crédit bancaire pour les investissements
matériels et de recherche à des taux d’intérêt d’autant plus faibles que
ces investissements programmeraient plus d’emplois et de formations
correctement rémunérés. Un pôle financier public incluant la Banque
publique d’investissement sera en mesure de déployer ce nouveau crédit.
Les député-e-s du Front de gauche proposent également
de moduler le taux de cotisation sociale patronale, une modulation
favorable à l’emploi, à la formation, aux salaires et pénalisante pour
la croissance financière des capitaux.
Si François Hollande avait écouté les Français – si
vous les aviez écouté – vous auriez annoncé un grand plan de justice
fiscale et sociale, des investissements pour les services publics, la
hausse du SMIC, un soutien aux collectivités locales, l'interdiction des
licenciements boursiers...
La réduction de 50 milliards d'euros de dépenses
publiques et la baisse des impôts et des cotisations sont incompatibles
avec les efforts annoncés en faveur de la santé, de l'éducation et de la
jeunesse.
Quant à la transition énergétique, il appartient, en
effet, à la Gauche d’en relever le défi. Mais n’oublions pas
l’essentiel : une réelle transition énergétique, très économe en
carbone, suppose de réorienter profondément les critères de financement
des investissements et de gestion des entreprises, en substituant aux
critères de rentabilité des critères sociaux et environnementaux ainsi
que de nouveaux droits et pouvoirs des salariés et des citoyens. Il
suppose aussi la maîtrise démocratique des circuits de financement de
l’économie.
Nous voyons ici combien il importe de redonner sens à
un projet collectif capable d'offrir à notre jeunesse d'autres
perspectives que l'austérité et le déclin.
Proposer un pacte républicain est le troisième enjeu. Notre société est, aujourd’hui, sous tension, en quête de sens et incertaine de ses valeurs communes.
Cette crise identitaire est d’abord une crise de
l’égalité. Les inégalités sociales et territoriales continuent de
structurer une société incapable de conjuguer le respect du singulier et
la définition du commun. L’atomisation et le cloisonnement de la
communauté nationale ont engendré une citoyenneté à plusieurs vitesses
dont l’inégalité sociale - plus que l’hétérogénéité culturelle des
populations - demeure la matrice.
Le sentiment d’injustice cultive les divisions et les
antagonismes qui sapent toujours un peu plus le sentiment
d’appartenance à une «communauté commune».
Au dévoiement des valeurs républicaines, nous devons donc, plus que jamais, opposer les valeurs de solidarité, de démocratie et de cohésion sociale.
Dans ce combat, notre pays ne peut ni ne doit
craindre ou mépriser l’immense apport humain et matériel que constitue
la présence des immigrés en France. Il faut réaffirmer que l’immigration
n’est pas un problème et refuser la ghettoïsation de la société, les
processus de relégation sociale et territoriale, combattre l’obsession
du refoulement des étrangers, rejeter la stigmatisation des personnes à
raison de leur appartenances à des communautés particulières.
Il faut sortir des calculs à courtes vues dictant les
postures politiciennes. L’enjeu n’est pas le score aux prochaines
élections de telle ou telle formation politique ou de telle ou telle
personnalité. L’enjeu c’est la France. L’enjeu c’est l’Europe. L’enjeu
c’est leurs peuples. C’est pourquoi nous avons été, depuis le début de
cette législature, porteurs de propositions ambitieuses. Et nous
continuerons à travailler, avec tous ceux qui souhaitent, à la
construction d’une vraie politique de gauche.
Monsieur le Premier ministre, nous regrettons que
votre feuille de route s’inscrive dans la continuité des erreurs
commises jusqu’alors. Augmentation de la fiscalité indirecte,
flexibilisation du marché du travail, réduction à marche forcée des
déficits publics, baisse massive des cotisations, ce ne sont pas là des
solutions à la crise. Au contraire, ces mesures ne vont que l’entretenir
et en aggraver les conséquences pour nos concitoyens.
***
En conséquence, et en toute logique, nous ne voterons
pas la confiance à votre gouvernement. Ce que nous proposons à la
majorité et à nos concitoyens qui voient s’accumuler les difficultés
c’est la construction d’une alternative pour porter une véritable
politique de transformation sociale.
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