mercredi 30 novembre 2011

RECHERCHE ET UNIVERSITÉ DE QUALITÉ : en finir avec les “opérations d’excellence”

Un préalable : tout gouvernement de gauche demain doit abolir la LRU et revenir sur les « labellisations d’excellence » qui sont, en vérité, non de simples « labels », mais visent à remodeler profondément la recherche française, à la rendre compatible avec la concurrence « libre et non faussée » lancée par le processus de Bologne et la stratégie de Lisbonne. La connaissance est incompatible avec le marché capitaliste.

Une idée centrale : la qualité, quête permanente inhérente à toute activité humaine, préside à l’exercice des métiers de la recherche ; elle est également indissociable avec le processus de l’enseignement, c’est-à-dire de la formation des jeunes, de la diffusion du savoir, mission confiée à l’université et qui s’articule avec son rôle comme lieu de recherche. La qualité s’oppose à la notion « d’excellence », dans son acception actuelle connotée et concurrentielle.

Une constatation : nous ne sous-estimons pas les besoins réels tant en coopération inter – et intra – disciplinaires, en articulation entre recherche fondamentale et appliquée, en développement de grands équipements dont la recherche a besoin dans tous les domaines. Mais nous pensons qu’au lieu d’un Grand emprunt, qui fait dépendre ces besoins des intérêts de placements, donc d’un financement aléatoire, la gauche doit donner à la recherche et à l’université les moyens stables nécessaires, y compris en postes. L’enseignement supérieur et la recherche publique sont des services publics qui doivent le demeurer.

1. Labex

Conçus pour déstructurer les équipes et casser les synergies existantes considérées comme insuffisamment dynamiques ou non « innovantes », les Labex ont incité aux regroupements ad hoc d’individus autour de projets répondant à des cadres thématiques supposés porteurs, censés donner des résultats dans une période temporelle déterminée. Ils ont fait fi des projets déjà existants, du travail engagé dans la durée parfois depuis longtemps.
Leur lancement a donné des illusions de financement conséquent, mais l’argent accordé, d’après les indications du ministère concernant ceux de la première vague, est soumis à plusieurs conditions, dont la plus importante est le non-cumul avec un financement Idex. Un acompte de 10% pour les 100 « élus » et le reste, en moyenne 10 millions d’€, sera perçu « annuellement jusqu’en 2020 », avec incitation de compléter par des sommes obtenues auprès des collectivités locales ou du privé.

Selon les disciplines et les endroits, les Labex ont été diversement utilisés : souvent, ils ont constitué le premier pas vers les projets Idex, donc sont devenus des enjeux de pouvoir pour des « notables » universitaires ; ou bien ils ont été considérés comme des moyens de financement, en l’absence de crédits récurrents qui sont en diminution constante et compromettent parfois équipes et disciplines ; ou enfin, notamment en SHS, ils ont mis au jour, grâce à un « habillage scientifique » (ou pseudo-scientifique) intéressant, de réels besoins de travail transversal et de communication entre différentes entreprises scientifiques. Or, pour mener ces projets, nul besoin de passer par un chantage.

Suppression des Labex signifie retour au laboratoire comme structure de base de la recherche. Aujourd’hui, ces unités de base sont dans leur grande majorité des UMR, dont il convient d’encourager et de souligner le caractère mixte, en rétablissant ainsi le lien entre EPST et universités. Cela suppose aussi de revenir sur l’accord entre la CpU et les organismes. La CPU n’a aucune représentativité ni aucun mandat comparables aux institutions des organismes. De plus, le PCF souhaite aller vers la dé-présidentialisation de l’ensemble de nos institutions.

Le PCF s’est prononcé pour le retour dans les laboratoires, sous forme de soutien de base, des crédits aujourd’hui confisqués par le Grand emprunt. Un audit général des besoins de financement de la recherche publique est à faire. Les engagements nécessaires doivent dorénavant être à l’abri de toute modification à la baisse. Ils doivent faire l’objet, en lien étroit et chaque année avec les représentants de la communauté scientifique, d’un débat parlementaire spécifique. En outre, sous réserve de prise en compte des nécessités impératives de rattrapage et des ambitions nouvelles, le chiffre de 1% devrait être atteint en tout état de cause sur la prochaine législature. Les structures de recherche publiques (laboratoires, équipes chercheurs isolés) doivent être garantis à hauteur d’au moins 70% de financement public pérenne. Ce système de financement doit ’une part orienter l’argent vers ce véritable besoin d’avenir qu’est la production et la diffusion du savoir, d’autre part rendre caduques les opérations Labex, puisque les crédits seront accordés équitablement selon les besoins des équipes de recherche, sans « contractualisation » à court terme. Cela restituera aux scientifiques le temps nécessaire à l’exercice de leur métier, ce temps qui est aujourd’hui davantage orienté vers la recherche de financements.

Nous proposons la création d’un pôle bancaire public avec renationalisation des grandes banques en vue d’une politique de crédit sélectif orienté vers les investissements socialement (et humainement) utiles. C’est le point central de ce financement, comme du financement de bien d’autres secteurs.

L’actuelle « autonomie » des universités les rend esclaves des financeurs de toute sorte et ouvre la voie vers la hausse des frais de scolarité. L’encoura gement desPartenariats public/privé (PPP) va dans le même sens (pas seulement dans l’immobilier). Une réelle « autonomie » signifie indépendance financière et investissement public à la hauteur, qui concerne tout autant la recherche fondamentale que la recher che appliquée.

L’AERES, agence de classement et non « d’évaluation », dont les « notes » ont servi au démarchage de ceux qui devaient faire partie des Labex, doit être supprimée. Nous sommes pour le rétablissement et la réhabilitation de l’évaluation par les pairs, seule susceptible de garantir l’indépendance de la recherche par rapport à des intérêts extérieurs, des pressions diverses et des inféodations notamment aux « besoins de bassins d’emploi » dessinés par le MEDEF et la Table ronde des entrepreneurs européens. Cela signifie également le rétablissement des prérogatives du Comité national de la recherche scientifique (voir infra).

Les besoins scientifiques réels qui ont fait jour lors des constitutions des dossiers Labex doivent être comblés grâce à une démocratisation et une simplification des procédures des organismes et des universités, afin de redonner aux personnels le temps et les moyens pour poursuivre toute coopération souhaitée. L’interdisciplinarité, la coopération entre les équipes et entre les chercheurs, y compris la coopération internationale, ont fait partie de la vocation fondatrice du CNRS. Elles seront au coeur d’une nouvelle conception de la recherche où la valeur de la science ne se mesurera pas à l’aune des brevets déposés ou des « innovations » exploitables sur le marché capitaliste.
Mais pour ce faire, des moyens importants sont requis, y compris en personnel, c’est pourquoi la gauche doit arrêter la RGPP et réparer les dégâts qui auront résulté de son application actuelle par la droite. Elle devra aussi mettre fin à la précarité qui aujourd’hui tente de s’ériger en règle dans l’emploi scientifique, avec les conséquences néfastes pour l’avancement de toute recherche. L’emploi public, stable et pérenne, doit être la règle et elle doit s’appliquer à toutes les catégories de personnels et à tous les métiers, sans séparation artificielle entre le « coeur » de métier, présumé intouchable et privilégié, et la « périphérie » (soutien ou support), considérée comme accessoire.

Cependant, grâce à la vigilance des personnels et au peu d’impact financier, les Labex n’ont pas eu le résultat escompté par le ministère. Plusieurs groupes ont même constaté, à la suite de leurs premières réunions, qu’ils constituaient plutôt des assemblages hétéroclites où il serait difficile de travailler sérieusement et même d’arriver à réaliser les objectifs énoncés pour obtenir le « label ». C’est donc les Idex qui constituent le nouveau cheval de bataille.

2. Idex

C’est la réforme la plus destructrice et la plus emblématique de l’asservissement de l’université et de la recherche au capitalisme, sous prétexte d’en élever le niveau prétendument bas. C’est le noeud de la politique de droite, non seulement en France, mais partout en Europe : visant à créer des établissements de taille gigantesque, c’est-à-dire répondre aux critères concurrentielles et contestables du « classement de Shangaï », son application va de pair avec les réfor mes territoriales dont l’objectif est de créer des métropoles ou régions gigantesques qui portent un coup fatal à la démocratie et anéantissent les services publics, en réduisant les citoyens en simples sujets.

La gauche demain doit supprimer les Idex. C’est impératif. Le PCF est catégorique sur ce sujet qui ne souffre aucun amé nagement. Elle doit également revenir sur la « réforme » territoriale, qui est décriée même dans les rangs de la droite.

Les Idex créent des établissements « hors-sol » et constituent un pas de plus vers ce qu’on appelle « l’université-entreprise ». Or, la re-territorialisation des activités de formation et de recherche ne signifie pas pour le PCF une « régionalisation » comme celle que semble prôner le PS. recherche et université doivent demeurer des services publics nationaux, gérés démocratiquement, en s’appuyant sur les éléments régionaux mais en gardant une cohérence et une visibilité nationale.
Ils sont ainsi protégés de toute collusion avec les intérêts de « notables » locaux, qu’ils soient politiques ou économiques. L’exemple de la formation professionnelle, notamment le développement des CFA privés sous contrôle du patronat et répondant à ses desiderata, a déjà montré combien ce lien exclusif, sous prétexte de proximité, affaiblit considérablement les établissements publics y afférents (Lycées professionnels).
Nous ne voulons pas que ce phénomène se reproduise avec l’université et la recherche, où nous avons déjà maints exemples de « sous-traitance » de la recherche de la part des entreprises qui vampirisent les laboratoires publics et licencient leurs chercheurs.

Nous sommes pour la collaboration entre la recherche publique et les entreprises qui développent les résultats de cette recherche.Actuelle ment, la désindustrialisation et la financiarisation des entreprises sont des obstacles pour la recherche, puisqu’il n’y a pas de recherche industrielle sérieuse sans politique industrielle.
C’est pourquoi nous proposons la création d’un Grand établissement public de recher che technologique et industrielle dont l’existence fait défaut à notre pays et dont l’absence est à l’origine d’innombrables déficiences de la politique industrielle publique. (Ce point est développé en détail dans le chapitre suivant sur la recherche industrielle).

Nous pensons que les activités scientifiques dans un territoire donné doivent être coordonnées avec les élus et les citoyens concernés. Pour ce faire, nous ne proposons pas une énième structure qui remplacera les Idex. À l’instar du CNESER (Conseil national d’enseignement supérieur et de recherche), sa déclinaison régionale, le CRESER, devrait jouer un rôle de coordination entre établissements, d’échange avec les instances territoriales élues et avec celles de la société civile (associations, syndicats des salariés). Pour ce faire, ce conseil doit avoir de réels pouvoirs en matière d’investigation et de saisine, d’alerte et de proposition, et fonctionner démocratiquement. Les représentants des étudiants entre autres doivent jouer leur rôle. Cette instance, qui n’a jamais vu le jour, serait une garantie d’indépendance de la recherche et une protection contre les tentatives de sa restructuration technocratique au niveau régional (concentration des pouvoirs et concurrence entre les régions).

La suppression des Idex et l’instauration d’un lien nouveau entre science et territoire aura des conséquences bénéfiques sur toutes les disciplines, contrairement à l’idée actuelle qui fait dépendre la recherche de la seule « innovation », source de profits capitalistes. Nous voulons promouvoir un modèle de coopération et de solidarité au lieu de la concurrence, fondé sur le lien historique entre les différentes disciplines scientifiques et les territoires où elles se sont implantées et développées.
La logique du Grand emprunt, instaurant un Grand marché de la connaissance, est à l’opposé de l’idée que les disciplines aujourd’hui ont besoin de se nourrir les unes des autres. L’interdisciplinarité, vocation fondatrice du CNRS, est une tendance de plus en plus marquée de la science actuelle : elle vise à leur interconnexion et à leur développement coordonné, ce qui est contraire à la logique des Idex dont les retombées sur des disciplines « non rentables » sont manifestes, sans parler de la création de « déserts scientifiques » à côté des « pôles d’excellence ». Nous ne prônons donc pas un retour au passé révolu, mais une conception actuelle qui prend en compte les liens historiques (parfois depuis le Moyen Âge, comme la médecine à Montpellier qui existe depuis le XIIIe s.) entre sciences et territoires, en associant sciences et histoire des sciences, ce qui permettra la « relocalisation » de bien d’activités de recherche.


La question de la taille (ou « masse critique ») des universités et des laboratoires de recherche est exploitée habilement pour faire croire à une baisse du niveau du fait du morcellement. Outre que cet argument n’est pas démontré, il est facile à détourner, car aujourd’hui les nouvelles technologies de l’information permettent toutes les communications sans besoin de regroupements physiques. Ces derniers ne favoriseront donc pas le développement de la connaissance, mais son insertion plus facile dans le marché concurrentiel d’une part, et son contrôle par le pouvoir politique de l’autre.
C’est pourquoi nous sommes opposés à la concentration à marche forcée qui accentue aussi la concurrence, voire la guerre entre les établissements. C’est encore une raison pour laquelle la gauche doit demain abroger la LRU : ces établissements gigantesques et « autonomes » mèneront une lutte sans merci pour attirer les meilleurs étudiants transformés en « clients ». Non seulement les inégalités sociales s’accentueront, mais la science en pâtira, car le but principal sera le profit et non le progrès de la connaissance.

3. Equipex

Compte tenu de la désindustrialisation et de l’affaiblissement de la recherche industrielle, le besoin en grands équipements se fait sentir pour la recherche expérimentale, principalement dans ce domaine. Cependant, ce besoin existe dans toutes les disciplines scientifiques, et doit être pris en compte selon les spécificités de chacune. Les équipements dits « d’excellence » sont censés répondre à ce besoin en s’inscrivant dans le même cadre de marché capitaliste du Grand emprunt que les Labex et Idex.

La nécessité de financer de grands équipements et d’en assurer le fonctionnement dans la durée en les dotant des moyens adéquats est réelle. Les procédures de leur financement doivent être démocratisées et adaptées aux conditions actuelles de la science. Raison de plus pour les soustraire à la prédation capitaliste : le financement via le Grand emprunt étant par définition instable (dépendant des intérêts des placements, donc des fluctuations imprévisibles), il ne peut en aucun casgarantir une exploitation de ces équipements sur des durées longues, ce qui est nécessaire pour conduire les grandes expérimentations. De plus, ces équipements doivent être financés dans le cadre de la recherche publique, afin de garantir leur indépendance : le premier critère est l’intérêt scientifique, non la « rentabilité » éventuelle pour le MEDEF ou les retombées pour la région d’implantation en ter mes de « compétitivité » et d’attractivité pour le capital.

C’est donc dans le même cadre que les laboratoires et les universités, et de bien des services publics, c’est-àdire dans celui d’un pôle financier public (au niveau français) et d’une refonte de la BCE (au niveau européen), avec l’abolition du pacte de stabilité et le refus de l’application du nouveau pacte « pour l’euro plus » que seront financés ces Grands équipements dont nous avons besoin et dont la gauche doit favoriser le développement.

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