Ayant
voulu devenir magistrat, j’ai repris mes études en droit. Militant communiste,
dans cette période de l’après Mur, je suis forcément influencé par mon
contexte. Pour être bref : l’URSS était un bloc, tout le monde pensait la
même chose et le droit se résumait aux décisions arbitraires d’un seul homme… Erreur
profonde !
Communiste
car profondément républicain (quitte à en faire hurler quelques uns, je reste
convaincu que les mouvements communistes, notamment à l’ouest, ont apporté
beaucoup à la construction de l’Etat de Droit et à la démocratie), partant à la
découverte de cette période avec joie, curieux de connaître les juristes marxistes…
je suis tombé sur Evgeny B. Pashukanis.
La
Révolution de 1917 a ce point commun (mais il y en a d’autres) avec la
Révolution française : c’est aussi un bouillonnement intellectuel incroyable
car bon nombre de bolcheviks étaient de brillant penseurs. La Révolution
d’Octobre, et en suite le mouvement des communismes, sont trop souvent résumés
à tort, et pour des raisons historiques bien connues, à Lénine, de Trotski et Staline
(C’est deux là sont, pour moi, les deux faces d’une même pièce)…
Rosa
Luxemburg, Antonio Gramsci sont les deux autres grandes figures connues de
cette histoire des mouvements communistes (et dont l’importance de la pensée a
été à mon avis sous estimé dans la doctrine communiste)… mais il y en a
beaucoup d’autres.
Evgeny
Bronislavovich Pashukanis mérite d’être plus connu et il reste, je pense, un
auteur moderne.
Plus
connu parce qu’il était quand même le grand rival de Hans Kelsen (de l’école
normativiste, grand inspirateur du contrôle de constitutionnalité, ses
détracteurs le rattache à l’école jus naturaliste puisqu’il n’analyse pas d’où
vient la norme suprême… celle-ci découlerait d’elle-même) ! Il a joué un
rôle important dans la vie intellectuelle dans la première partie du XXème
siècle.
Auteur
moderne enfin dans le sens où de formation privatiste, il est aussi l’auteur
d’une œuvre théorique assez unique de l’application de la pensée marxiste dans
le droit. Or dans la période que nous connaissons, sa pensée nous aide à
analyser les rapports de classe dans les rapports juridiques, à remettre
certains concepts dans leurs matérialités historiques.
Ses
analyses sont beaucoup plus fines que d’autres auteurs, où le bon droit se fera
le jour où la classe ouvrière sera au pouvoir. De formation privatif, la place
respective de l’individu et du collectif danses analyses lui ont valu de pas
être dans els conceptions de plus en plus affirmés du droit soviétique où le
collectif devenait la source de tout.
L’approche
de Pashukanis nous est utile car s’inscrit peut être plus dans l’histoire
politique de l’Europe de l’ouest. Jacques Michel, dans le dictionnaire critique
du marxisme (PUF 1985) synthétise ainsi sa pensée : le droit n’a pas une
réalité sui généris mais une efficacité particulière. Le sujet de droit est le
moment central des actes et de la théorique juridique. L’État est judiciarisé
pour masquer sa vraie nature : une violence organisée d’une classe (cela
se voit lors du paroxysme de la lutte des classes). Pour Pashukanis, les
concepts du droit dit bourgeois peuvent être un instrument pour le prolétariat,
il n’existe pas de droit prolétarien propre (C’est d’ailleurs sur ce point
qu’il s’opposera aux staliniens pour qui il y avait un droit soviétique distinct).
Petite
biographie…
(Faite avec les pages wikipédia française et
anglaise, les souvenirs de John N. Hazard archives marxistes (site anglophone)
et des éléments du texte de Jacques Michel dictionnaire critique du marxisme
(PUF, 1982). Etant mauvais anglophone, j’ai utilisé la traduction de google et
ensuite, j’ai essayé de retrouver la logique des phrases en fonction du sens).
E.
B. Pashukanis est né en1891 à Staristza (oblast de Tev). Il rejoint le Parti
ouvrier social-démocrate Russe (PSOR) à l’âge 17 ans. Il semble que son oncle a
eu une forte influence sur ses idées politiques. En 1909, il commence ses
études de droit à l’université de St Petersburg. Comme la police tsariste le
poursuit pour activisme socialiste, il part pour Munich pour achever ses
études.
En
1914, il revient en Russie. Il fait partie des socialistes qui s’opposent à la
guerre. En 1918, il rejoint les bolchéviks. Pendant la Révolution, il est conseillé
au commissariat du peuple aux relations extérieures. C’est à ce titre qu’il participe
aux négociations qui aboutiront au traité de Rappalo. Ce traité est signé avec
l’Allemagne de la République de Weimar et qui permis aux deux pays de sortir de
leur isolement diplomatique, avec une clause de nation la plus favorisé et des
clauses pour la collaboration militaire (qui prendra fin en 1933). Il travaille
avec Christian Rakovsky et Adolf Joffé.
En
1924, il quitte ses fonctions au gouvernement pour travailler à l’Académie
communiste. Il publie en 1924l’œuvre étudiée par Léon Loiseau « La théorie
générale du droit » (3 rééditions se feront jusqu’en 1927, c’est dire le
succès de cette œuvre). De 1925 à 1927, il rédige avec Peteris Stucka
(dirigeant letton pendant la Révolution, il finira sa carrière au tribunal
suprême de la République Fédérative de la Russie Soviétique) « L’Etat et
le Droit ». Il fonde également avec lui la section de la théorie du droit
au sein de cette académie bien qu’ils s’opposent sur le plan intellectuel. En
effet, Stucka défend une position où le droit et l’économie sont liés (les deux
auteurs sont aussi liés à Trotski).
Avec
la montée en puissance des tenants du « droit soviétique » qui
étaient plutôt proches de Staline (Vyschinsky et Krylenko au 1er
chef), ses thèses sont peu à peu rejetées. Pashukanis lui-même critiquera ses ouvrages, ce qui fait dire à Léon Loiseau
qu’il a troublé l’analyse de son œuvre (notamment ses œuvres de 1935 et 1936).
En
1936, il est nommé député commissaire à la justice et participe à ce titre à la
rédaction de la Constitution de l’URSS de 1936.
Ses
liens avec Trotski (je ne sais pas si on peut qu’il était partisan de Trotski)
et bon nombre d’intellectuels proches de lui, sa pensée et sa place font qu’il
est poursuivi et exécuté dans les purges de 1937 comme ennemi du peuple et déviationniste
trotskiste.
Il
sera réhabilité lors du XXème congrès du PCUS de 1956. Il a été reconnu comme
avoir été puni injustement. Son œuvre a été rétablie intégralement, y compris
les introductions et avant-propos d’origine. Ses livres ont été réintégré dans
la bibliothèque Lénine, son portrait a été raccroché parmis ceux des directeurs
de l’institut.
Si
sses livres pouvaient être lus, ses idées n’ont pas été réintégrés comme
acceptable même pour la discussion.
L’œuvre
de Paschukanis sera bien reçue dans les pays anglo-saxons et au Brésil. Dans
les pays où l’influence du droit romain et germanique est forte, elles le
seront peu, ce qui est paradoxale pour un homme formé en partie en Allemagne.
Le
seul témoignage de cette influence est donné par John N. Hazard, juriste américain
qui enseigna à Harvard, dans une somme qui est dédiée au juriste soviétique.
Il
décrit Paschukanis comme quelqu’un de sûr de lui. Révolutionnaire convaincu,
homme de son époque, il avait un côté « c’est eux ou nous ». Hazard
le décrit aussi comme assez tyrannique et impressionnant face à ses disciples. Son
caractère tranché et son autoritarisme ont fait, selon ce dernier, que son
éviction a été bien accueillie par ses élèves. Le fait qu’il est été touché par
les purges staliniennes a surpris beaucoup de monde car Pashukanis savait quand
même passer entre les gouttes et c’était un marxiste convaincu ; enfin, il
avait fait beaucoup d’autocritiques de son œuvre.
Hazard
était à l’époque l’assistant de Samuel N. Harper. Il a rencontré directement
quand il a consulté des juristes du monde entier pour la rédaction de la
Constitution de 1936. Il semble qu’il n’avait pas conscience que sa fin était
proche, qu’il serait stigmatisé comme lui avait stigmatisé d’autres.
Hazard
reconnait son œuvre comme imaginative, où l’on voit l’évolution de sa pensée et
son pragmatisme pour créer un système juridique préparant à une société sans
classe. Il indique qu’il faut lire la pensée de Paschukanis comme celle de tout
grand penseur : comme une évolution et les efforts pour rester fidèle à
une conception marxiste.
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