Je partage cette opinion qui conduit au nom de la rigueur scientifique de l'économie à ce que les droits soient réduit... Encore une preuve que tout est politique.
Haut Conseil des finances publiques: pour en finir avec la démocratie.
Certes, au printemps 2012, les Français ont démocratiquement élu un
président de la république issu du Parti socialiste, puis ont
démocratiquement donné à la gauche une majorité au Parlement européen
Cependant, les marchés financiers risquaient de s’inquiéter. Donc,
François Hollande a cru bon de les rassurer : certes, la France
renégocierait le Traité budgétaire, mais, de toute façon, elle le
respecterait : elle limiterait son déficit à 3 % du PIB en 2013, à 2,2 %
en 2014 ; elle retournerait à l’équilibre en 2017.
En juin 2012, le gouvernement de gauche ratifie, sans renégociation,
le Pacte budgétaire. La France s’engage à retourner à l’équilibre
budgétaire structurel selon une trajectoire définie par la Commission ;
elle s’engage à corriger automatiquement tout écart à la trajectoire ;
elle s’engage à mettre sur pied un Haut Conseil des finances publiques,
des experts indépendants chargés de veiller au respect de cet
engagement.
Comme tous les pays européens se lancent dans des politiques
d’austérité budgétaire (austérité signifiant baisse des dépenses
publiques et sociales et non hausse des impôts sur les plus riches,
comme les instances européennes le répètent en permanence), la
croissance s’effondre dans la zone euro : le PIB a baissé de 0,6 % en
2012 et devrait enregistrer une baisse similaire en 2013. Les pays
européens sont pris dans une spirale infernale : chute de la croissance -
baisse des recettes fiscales - hausse du déficit -nouvelles mesures de
restriction budgétaire - nouvelle baisse de la croissance. Comme ce fou,
qui se donne des coups de marteau sur le crâne pour soigner son mal de
tête, et qui tape de plus en plus fort, car cela n’a pas encore marché.
La France ne connaîtra pas la croissance de 1,7 % prévue par François
Hollande pour 2013. La Commission européenne nous annonce une
croissance pour la France de 0,1 % en 2013, de 1,2 % en 2014, avec un
déficit public de 3,7 % en 2013, de 3,9 % en 2014. Pour tenir ses
engagements (3 % de déficit en 2013, 2,2 % en 2014), il faudrait que la
France réduise ses dépenses publiques de 1,4 % du PIB en 2013 ; puis
encore de 2 % en 2014, au total de 70 milliards en 2 ans. Ceci nous
permettrait de tenir nos engagements européens mais le PIB français
baisserait de 1,3 % en 2013, de 2,8 % en 2014. Ces 70 milliards de
coupes budgétaires obligeraient à mettre en cause le modèle social
français : il faudrait les prendre sur les familles, les retraités, les
chômeurs, les services publics.
Sans doute, serait-il plus avisé de ne pas les respecter. Mais le
Traité budgétaire a imposé à la France de mettre sur pied un comité
d’experts indépendants, chargé « de s'assurer du respect de la règle
d'or par le gouvernement, en donnant en particulier son avis sur les
prévisions macroéconomiques qui sous-tendent les budgets et en vérifiant
que les projets de loi de finances sont conformes à l'objectif
pluriannuel de retour à l'équilibre ».
Ce comité d’experts indépendants, c’est le rêve de toujours des
libéraux et de la Commission européenne. Après avoir confié la politique
monétaire à une banque centrale indépendante, la politique industrielle
et la politique de la concurrence à des commissaires bruxellois, il
faut priver de tout pouvoir budgétaire les gouvernements élus, et donc
devant tenir compte de l’avis des peuples.
On aurait pu se demander si ce Haut Conseil avait une marge
d’appréciation. Aurait-il le droit de considérer que la politique
budgétaire doit tenir compte de la situation conjoncturelle ? de
rappeler que la véritable « règle d’or des finances publiques » autorise
un déficit public égal à l’investissement public ? de rappeler que l’on
ne peut définir a priori une trajectoire d’ajustement de la
politique budgétaire indépendante de l’évolution économique ? Quelle
aurait été la stratégie préconisée par ce Haut Conseil en cas de
ralentissement de l’activité : une politique expansionniste pour
soutenir la croissance ou une politique restrictive pour restaurer les
finances publiques tout en creusant la dépression ?
Dès 2013, se pose la question : quelle est la prévision réaliste pour
le couple croissance/déficit ? Faut-il accepter les prévisions de la
Commission : croissance de 0,1 % et déficit de 3,7 %, ou faut-il imposer
au gouvernement un objectif de déficit de 3 %, conforme aux engagements
de la France, et donc une prévision de croissance de -1,3 %, compte
tenu de l’impact de la politique budgétaire sur l’activité ? Mais la
composition de ce Haut Conseil nous rassure : les questions qui fâchent
ne seront sans doute pas posées.
Présidé par le Président de la Cour des comptes, le Haut Conseil
comprend quatre magistrats de la Cour des comptes, le directeur de
l’INSEE et cinq membres désignés en raison de leur compétence en matière de finances publiques
par les présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat, du CESE (Conseil
économique, social et environnemental), des deux commissions des
finances. Cette prédominance de la Cour des comptes est problématique.
Les magistrats de la Cour des comptes ne sont pas a priori des
experts en macroéconomie ; ils sont, par fonction, plus attachés à
l’équilibre des finances publiques qu’à la croissance et à l’emploi. Les
derniers rapports de la Cour des comptes sous-estiment par exemple
l’écart de production, soutiennent la thèse que le multiplicateur de
dépenses publiques est proche de zéro, qu’il vaut mieux réduire les
dépenses publiques qu’augmenter les impôts. Ils réclament la baisse des
prestations chômage, la désindexation des retraites et des prestations
familiales. Surtout, les rapports de la Cour des comptes n’expriment ni
doutes, ni divergences d’opinion, comme s’il y avait une évidence qui
s’imposait hors de tout débat démocratique ou scientifique.
Des cinq membres nommés pour leur compétence, trois le sont a priori
par des personnalités de droite. Les nominations annoncées, fin
février, confirment les craintes que l’on pouvait avoir : les présidents
des commissions des finances ont nommé des personnes en fonction dans
des banques, dont l’une réclamait récemment que la Cour de justice de
l’Union européenne ait le droit de rectifier le budget d’un pays qu’elle
jugerait non conforme au Traité européen ; le président du CESE a
nommé un professeur de gestion, qui s’est toujours prononcé pour de
fortes réductions des dépenses publiques et pour la mise en cause du
droit du travail. Jean Pisani-Ferry, nommé par le président de
l’Assemblée Nationale, soutient depuis 10 ans la stratégie de la
Commission, basée sur le renforcement du Pacte de Stabilité, la
paralysie des politiques budgétaires nationales et l’imposition aux
Etats membres de réformes économiques libérales. Certes, le président du
Sénat a nommé Michel Aglietta, mais celui-ci risque d’être bien isolé.
Pourra-t-il rejouer Henry Fonda dans « Douze hommes en colère » ?
Surtout que la loi instaurant le Conseil comporte un prodigieux article
21 qui stipule : « Ses membres sont tenus au secret sur ses
délibérations. Il [Le Haut Conseil] ne peut publier d'opinion
dissidente ». Soit les mêmes règles que celles de la Cour des comptes,
qui bloquent le débat démocratique.
Ainsi, la politique budgétaire sera contrôlée par un cénacle de onze
personnes, dont neuf estiment que la France doit fortement réduire ses
dépenses publiques et doit tout sacrifier pour respecter des engagements
européens sans fondement économique et qui contribuent à enfoncer la
zone euro dans la récession. Fallait-il qu’un gouvernement de gauche
mette en place cette tutelle ? Faudra-t-il s’étonner demain que les
peuples se détournent et de la vie démocratique et d’une certaine gauche
européenne ?
L’appréciation de la politique économique doit faire l’objet d’un
débat scientifique et démocratique, ouvert et transparent. Le choix de
la stratégie économique doit appartenir au gouvernement et aux
représentants de la Nation.
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