Article de Domenico Moro, économiste et militant du Parti des communistes italiens (PdCI)
Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
C'est
la deuxième fois que nous allons au tapis et pour la seconde fois il
faudra tenter de se
relever. Comme en boxe, seul celui qui est vraiment déterminé
réussit à le faire. Toutefois, se relever pour continuer à encaisser des
coups de poing comme un boxeur sonné serait absurde. Quand
on va au tapis, on ne se relève pas tout de suite, on attend le
décompte de l'arbitre, en profitant de chaque seconde pour reprendre son
souffle et sa lucidité. Voilà, reprendre son souffle, pour
nous, signifie raisonner à tête reposée et chercher de comprendre le
pourquoi et le comment cela a pu se produire une nouvelle fois.
Personne n'a la vérité en poche. Cependant, nous cherchons de voir si il est possible
d'identifier des faits précis dont nous pourrions partir. En premier lieu, que nous prouvent ces élections? Selon moi, elles nous prouvent trois choses. Premièrement, la faillite du
bi-partisme. Deuxièmement, le gouvernement Monti et la majorité qui le soutenait ont été rejetées. Troisièmement, l'Europe même – ou plutôt l'européisme des marchés financiers – a été
rejetée.
Les
données et les chiffres ne se prêtent pas à des interprétations
différentes. Les forces qui
ont soutenu le gouvernement Monti ont subi des saignées, parfois
mortelles. Le retour même de Berlusconi, bien réel, est toutefois fort
relatif. Comme parti, le PDL (Parti des libertés) passe de
13,6 millions de voix en 2008 à 7,3 millions en 2013, perdant près
de la moitié des suffrages. Comme coalition, Berlusconi perd la
bagatelle de 7,1 millions de voix, passant de 46,8 à 29,1%. Le
PD perd moins mais subi une saignée incroyable passant de 12 à 8,6
millions de voix, et comme coalition elle perd 3,6 millions de voix,
passant de 37,6% à 29,5%. Le résultat, bien en-dessous des
attentes, du centre de Monti, jusqu'à avant-hier sauveur de la
patrie, et la disparition de la scène politique de Casini [chef
de la Démocratie
chrétienne refondée] et de Fini [ex-leader du parti néo-fasciste
Alliance nationale] complètent le tableau du rejet de la grande
coalition qui a soutenu le gouvernement Monti et a mis en place
les politiques européennes. L'équilibre entre les deux vieux pôles,
surtout l'émergence du pôle de Grillo et, dans une moindre mesure, la
consolidation d'un centre à 10%, sonne le glas du
bipartisme en tant que tel. Mais il y a un autre élément fondamental
lié à la fin du bipartisme, à l'effondrement des partis traditionnels
et dont il faut tenir compte, et qui est passé en
revanche inaperçu. Il s'agit de la progression de l'abstention,
une tendance historique désormais consolidée que l'extraordinaire
affirmation sur la scène politique de Grillo n'a pas réussi à inverser.
La participation – sans compter les bulletins blancs ou
nuls – est passée de 83,6% en 2006, 80,5% en 2008 et à 75,2% en
2013. En valeur absolue, les abstentionnistes sont passés de 77 à 9,2
puis à 11,7 millions en 2013. 2,5 millions d'abstentionnistes
supplémentaires sur les deux dernières élections.
Aussi paradoxal que cela puisse sembler,
le véritable grand perdant de ce scrutin est le capital financier trans-national. Son candidat était le ticket Bersani-Monti, comme l'a affirmé clairement l'éditorial du 16-22 février de The Economist,
la publication la plus influente dans le milieu. Désormais, le
problème,
selon ces messieurs, qui ressort est celui du fétiche de la
« gouvernabilité », en d'autres termes la possibilité de mettre en œuvre
les politiques européennes, du TSCG aux diverses
contre-réformes. En fait, les italiens avec leur vote pour Grillo,
en se fichant du spread [l'écart de taux d’intérêt entre l'Allemagne et
l'Italie pour emprunter sur les marchés] et de la
gouvernabilité, ont fait explosé les plans européens, dans une sorte
de référendum implicite sur l'euro, et ont laissé le capital sans
système politique opérationnel.
A
ce stade, il faut se demander pourquoi les
italiens qui ont rejeté le gouvernement Monti et l'Europe ont
concentré leurs voix sur Grillo et n'ont pas voté pour nous. En effet, pour la gauche il s'agit d'une débâcle
générale, qui nous concerne tous et s'inscrit dans la
tendance déjà constatée entre 2006 et 2008, lorsque nous avons perdu
plus de 3 millions de voix, comme résultat de la participation
au gouvernement Prodi. En 2008, l'Italie des Valeurs (IdV), le Parti
de la Refondation communiste (PRC – qui comprenait SEL/Gauche écologies
et libertés) et le Parti des communistes italiens
(PdCI) avaient obtenu 7,5%, aujourd'hui c'est 5,4% [2,2% pour
Révolution civile réunissant PRC, PdCI et IdV ; 3,2% pour SEL sur la
liste du PD], passant de 2,7 millions de voix en 2008 à un
peu plus de 1,8 millions aujourd'hui. Et pourtant, cette fois nous
n'étions pas au Parlement et nous nous sommes positionnés contre Monti.
Alors, pourquoi ? La réponse est complexe et simple
à la fois : nous avons perdu de la crédibilité depuis longtemps et ces derniers temps nous ne sommes pas parvenus à la retrouver, elle a même encore
diminué.
Il faut éviter deux erreurs de
simplification : remettre la faute sur un électorat borné (ou qui ne nous comprend pas, ou qui suit des modes) et sur le vote utile.
Il est évident
que nous sommes confrontés à la dure réalité et que celle-ci, dans
cette phase historique, ne nous est pas favorable, pour de nombreuses
raisons. Toutefois, nous devons comprendre en premier lieu
quelles sont nos limites, vu que c'est sur celles-ci que nous avons
la plus grande capacité d'action. Et il ne s'agit pas de faire des
récriminations inutiles ou de s'auto-flageller, mais ceci
pour aller de l'avant de façon constructive. De mon point de vue, si les travailleurs ne votent pas pour toi (et dans de telles proportions), cela veut dire que tu as
également raté quelque chose.
La
première grosse limite est que nous n'avons
pas réussi à exprimer une ligne cohérente avec ce que nous disions
qui, par ailleurs, était parfois à géométrie variable. C'est vrai que
nous nous sommes positionnés contre Monti, mais
nous avons cherché avec insistance un accord avec le parti qui a représenté le premier soutien au gouvernement Monti
et qui a de fait exprimé un alignement patent sur les
politiques européistes, plus que Berlusconi. Même quand le PD a
refusé, à plusieurs reprises, nos offres et que s'est formée la liste
Révolution civile, Ingroia, au moins jusqu'à un certain
point, a continué à lancer des offres de collaboration au PD.
Concrètement, le cavalier seul n'est pas apparu comme le résultat
cohérent d'un choix politique, mais comme une espèce de solution de
repli, due au refus du PD. Un refus qui par ailleurs était fort
prévisible, au vu de la volonté manifeste de ce parti de s'aligner sur
les politiques européennes et de se préparer à l'alliance
post-électorale avec Monti. Tout ceci et, ce ne furent pas la
moindre difficulté, les divisions internes dans la Fédération de la
gauche – de fait divisée et recomposée in extremis dans la
Révolution civile – n'ont pas produit, même avant la campagne
électorale, un militantisme et une visibilité adéquats. Et surtout cela
ne pouvait que désorienter notre électorat potentiel qui, en
effet, s'est massivement abstenu ou exprimé pour Grillo. Si elles
ont renforcé une quelconque idée chez certains, c'est l'idée d'une
disposition post-électorale à retourner aux vieux compromis
électoraux.
La seconde limite réside dans la nature
de la campagne électorale de la Révolution civile qui, en dépit des efforts de quelques-uns, est restée centrée sur la légalité
(ce n'est pas qu'elle n'est pas
importante, mais nous n'avons pas été capables – et ce n'est pas
Ingroia qui le pouvait, catapulté des salles d'audience dans la scène
politique – à lier la question de la légalité à l'économie
et à la question sociale), alors que nous sommes dans la pire crise
économique depuis la fin de la guerre que les gens n'arrivent pas à
boucler les fins de mois.
La
troisième limite, dans une campagne
électorale et dans une politique où les médias comptent de plus en
plus (et en présence de véritables maitres en l'affaire tel Grillo et
Berlusconi), c'est le fait que nous avons présenté un
leader qui n'était pas capable de transmettre un quelconque
enthousiasme. En outre, nous avons éliminé les symboles des
partisqui permettaient aux électeurs d'avoir un repère clair, avec une concession suicidaire au refrain tant ressassé de la « société
civile »meilleure que celle politique (c'est-à-dire nous-mêmes). Ingroia est un personnage précieux pour la gauche qui
pourra apporter une contribution importante à l'avenir, mais comme leader de la coalition, cela n'a pas marché.
Des
analyses du vote plus approfondies nous
diront si et dans quelle mesure le vote utile a eu son importance.
Mais déjà en 2008 il a joué partiellement et moins que l'abstention.
Aujourd'hui, il a encore moins fonctionné. La preuve
contraire, c'est le résultat médiocre de SEL, avec 3,2% (quelques
mois auparavant, elle était créditée de 6%), seulement 1% de plus et 300
000 voix de plus que Révolution civile. En outre, il
faudra se demander pourquoi nous n'avons pas récupéré les nouveaux
et les vieux abstentionnistes et surtout pourquoi le vote utile n'a pas
fonctionné pour Grillo, d'autant plus que, selon les
premières analyses sur les transferts de voix, il a récupéré une
bonne partie des anciens électeurs du PD en 2008. Ce n'est pas le lieu
de faire une analyse approfondie du Mouvement 5 étoiles.
Nous nous limiterons à considérer que la force de Grillo a été sa
capacité à se présenter comme ne s'étant pas compromis dans le passé, à agiter de façon crédible la question de l'Europe
et de l'euro et à se déclarer non-disponible pour des
accords au rabais. Mais surtout Grillo, c'est une différence avec nous, a
compris le sens du vent et les sentiments profonds qui
animent les italiens.
La
plus grosse erreur réside dans le fait qu'en
politique il faut choisir. Nous avons choisi de ne pas choisir et de
faire choisir les autres pour nous. Dans un climat socialement brûlant
et dans un contexte de grande volatilité, ces erreurs
se paient lourdement. Au risque de me répéter, il faut tenir compte
du fait que la période historique et le contexte social et économique en
Italie et en Europe ont changé : retour de la
pauvreté et du chômage de masse (et croissance corrélée de
l'abstention), transformation de l'Etat-nation face à des politiques
générales décidées à l'échelle européenne, délocalisation et
financiarisation massives, et bien d'autres chose encore. Tout cela
rend nécessaire une recomposition complète de nos propositions et de
notre positionnement politique. On ne peut pas répéter les
mêmes formules du passé, basées sur la réédition du centre-gauche.
Il faut avoir la capacité de donner aux gens une perspective nouvelle et
plus large, qui soit en mesure de revitaliser les
énergies et de redonner l'envie de lutter.
Pour toutes ces raisons, sont nécessaires une
réflexion et un re-positionnement stratégique, dans lesquelles il faut poser clairement le fait que l'autonomie idéologique et politique des communistes, à travers la reconstruction d'un
véritable parti communiste, sont le premier point à l'ordre du jour.
Le résultat de ces élections, pour nous, démontre surtout cela. C'est
seulement en nous montrant à nous-mêmes et en
montrant aux autres que nous sommes capables de nous unir et de
trouver un point de vue commun, que nous pourrons faire le premier pas
pour retrouver cette crédibilité et regagner le terrain que
nous avons perdu.
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