jeudi 21 mars 2013

Une analyse d'un communiste italien sur leur échec aux élections.

Que nous enseignent les élections en Italie et les raisons de la défaite


Article de Domenico Moro, économiste et militant du Parti des communistes italiens (PdCI)




C'est la deuxième fois que nous allons au tapis et pour la seconde fois il faudra tenter de se relever. Comme en boxe, seul celui qui est vraiment déterminé réussit à le faire. Toutefois, se relever pour continuer à encaisser des coups de poing comme un boxeur sonné serait absurde. Quand on va au tapis, on ne se relève pas tout de suite, on attend le décompte de l'arbitre, en profitant de chaque seconde pour reprendre son souffle et sa lucidité. Voilà, reprendre son souffle, pour nous, signifie raisonner à tête reposée et chercher de comprendre le pourquoi et le comment cela a pu se produire une nouvelle fois.


Personne n'a la vérité en poche. Cependant, nous cherchons de voir si il est possible d'identifier des faits précis dont nous pourrions partir. En premier lieu, que nous prouvent ces élections? Selon moi, elles nous prouvent trois choses. Premièrement, la faillite du bi-partisme. Deuxièmement, le gouvernement Monti et la majorité qui le soutenait ont été rejetées. Troisièmement, l'Europe même – ou plutôt l'européisme des marchés financiers – a été rejetée.


Les données et les chiffres ne se prêtent pas à des interprétations différentes. Les forces qui ont soutenu le gouvernement Monti ont subi des saignées, parfois mortelles. Le retour même de Berlusconi, bien réel, est toutefois fort relatif. Comme parti, le PDL (Parti des libertés) passe de 13,6 millions de voix en 2008 à 7,3 millions en 2013, perdant près de la moitié des suffrages. Comme coalition, Berlusconi perd la bagatelle de 7,1 millions de voix, passant de 46,8 à 29,1%. Le PD perd moins mais subi une saignée incroyable passant de 12 à 8,6 millions de voix, et comme coalition elle perd 3,6 millions de voix, passant de 37,6% à 29,5%. Le résultat, bien en-dessous des attentes, du centre de Monti, jusqu'à avant-hier sauveur de la patrie, et la disparition de la scène politique de Casini [chef de la Démocratie chrétienne refondée] et de Fini [ex-leader du parti néo-fasciste Alliance nationale] complètent le tableau du rejet de la grande coalition qui a soutenu le gouvernement Monti et a mis en place les politiques européennes. L'équilibre entre les deux vieux pôles, surtout l'émergence du pôle de Grillo et, dans une moindre mesure, la consolidation d'un centre à 10%, sonne le glas du bipartisme en tant que tel. Mais il y a un autre élément fondamental lié à la fin du bipartisme, à l'effondrement des partis traditionnels et dont il faut tenir compte, et qui est passé en revanche inaperçu. Il s'agit de la progression de l'abstention, une tendance historique désormais consolidée que l'extraordinaire affirmation sur la scène politique de Grillo n'a pas réussi à inverser. La participation – sans compter les bulletins blancs ou nuls – est passée de 83,6% en 2006, 80,5% en 2008 et à 75,2% en 2013. En valeur absolue, les abstentionnistes sont passés de 77 à 9,2 puis à 11,7 millions en 2013. 2,5 millions d'abstentionnistes supplémentaires sur les deux dernières élections.



Aussi paradoxal que cela puisse sembler, le véritable grand perdant de ce scrutin est le capital financier trans-national. Son candidat était le ticket Bersani-Monti, comme l'a affirmé clairement l'éditorial du 16-22 février de The Economist, la publication la plus influente dans le milieu. Désormais, le problème, selon ces messieurs, qui ressort est celui du fétiche de la « gouvernabilité », en d'autres termes la possibilité de mettre en œuvre les politiques européennes, du TSCG aux diverses contre-réformes. En fait, les italiens avec leur vote pour Grillo, en se fichant du spread [l'écart de taux d’intérêt entre l'Allemagne et l'Italie pour emprunter sur les marchés] et de la gouvernabilité, ont fait explosé les plans européens, dans une sorte de référendum implicite sur l'euro, et ont laissé le capital sans système politique opérationnel.


A ce stade, il faut se demander pourquoi les italiens qui ont rejeté le gouvernement Monti et l'Europe ont concentré leurs voix sur Grillo et n'ont pas voté pour nous. En effet, pour la gauche il s'agit d'une débâcle générale, qui nous concerne tous et s'inscrit dans la tendance déjà constatée entre 2006 et 2008, lorsque nous avons perdu plus de 3 millions de voix, comme résultat de la participation au gouvernement Prodi. En 2008, l'Italie des Valeurs (IdV), le Parti de la Refondation communiste (PRC – qui comprenait SEL/Gauche écologies et libertés) et le Parti des communistes italiens (PdCI) avaient obtenu 7,5%, aujourd'hui c'est 5,4% [2,2% pour Révolution civile réunissant PRC, PdCI et IdV ; 3,2% pour SEL sur la liste du PD], passant de 2,7 millions de voix en 2008 à un peu plus de 1,8 millions aujourd'hui. Et pourtant, cette fois nous n'étions pas au Parlement et nous nous sommes positionnés contre Monti. Alors, pourquoi ? La réponse est complexe et simple à la fois : nous avons perdu de la crédibilité depuis longtemps et ces derniers temps nous ne sommes pas parvenus à la retrouver, elle a même encore diminué.


Il faut éviter deux erreurs de simplification : remettre la faute sur un électorat borné (ou qui ne nous comprend pas, ou qui suit des modes) et sur le vote utile. Il est évident que nous sommes confrontés à la dure réalité et que celle-ci, dans cette phase historique, ne nous est pas favorable, pour de nombreuses raisons. Toutefois, nous devons comprendre en premier lieu quelles sont nos limites, vu que c'est sur celles-ci que nous avons la plus grande capacité d'action. Et il ne s'agit pas de faire des récriminations inutiles ou de s'auto-flageller, mais ceci pour aller de l'avant de façon constructive. De mon point de vue, si les travailleurs ne votent pas pour toi (et dans de telles proportions), cela veut dire que tu as également raté quelque chose.


La première grosse limite est que nous n'avons pas réussi à exprimer une ligne cohérente avec ce que nous disions qui, par ailleurs, était parfois à géométrie variable. C'est vrai que nous nous sommes positionnés contre Monti, mais nous avons cherché avec insistance un accord avec le parti qui a représenté le premier soutien au gouvernement Monti et qui a de fait exprimé un alignement patent sur les politiques européistes, plus que Berlusconi. Même quand le PD a refusé, à plusieurs reprises, nos offres et que s'est formée la liste Révolution civile, Ingroia, au moins jusqu'à un certain point, a continué à lancer des offres de collaboration au PD. Concrètement, le cavalier seul n'est pas apparu comme le résultat cohérent d'un choix politique, mais comme une espèce de solution de repli, due au refus du PD. Un refus qui par ailleurs était fort prévisible, au vu de la volonté manifeste de ce parti de s'aligner sur les politiques européennes et de se préparer à l'alliance post-électorale avec Monti. Tout ceci et, ce ne furent pas la moindre difficulté, les divisions internes dans la Fédération de la gauche – de fait divisée et recomposée in extremis dans la Révolution civile – n'ont pas produit, même avant la campagne électorale, un militantisme et une visibilité adéquats. Et surtout cela ne pouvait que désorienter notre électorat potentiel qui, en effet, s'est massivement abstenu ou exprimé pour Grillo. Si elles ont renforcé une quelconque idée chez certains, c'est l'idée d'une disposition post-électorale à retourner aux vieux compromis électoraux.


La seconde limite réside dans la nature de la campagne électorale de la Révolution civile qui, en dépit des efforts de quelques-uns, est restée centrée sur la légalité (ce n'est pas qu'elle n'est pas importante, mais nous n'avons pas été capables – et ce n'est pas Ingroia qui le pouvait, catapulté des salles d'audience dans la scène politique – à lier la question de la légalité à l'économie et à la question sociale), alors que nous sommes dans la pire crise économique depuis la fin de la guerre que les gens n'arrivent pas à boucler les fins de mois.


La troisième limite, dans une campagne électorale et dans une politique où les médias comptent de plus en plus (et en présence de véritables maitres en l'affaire tel Grillo et Berlusconi), c'est le fait que nous avons présenté un leader qui n'était pas capable de transmettre un quelconque enthousiasme. En outre, nous avons éliminé les symboles des partisqui permettaient aux électeurs d'avoir un repère clair, avec une concession suicidaire au refrain tant ressassé de la « société civile »meilleure que celle politique (c'est-à-dire nous-mêmes). Ingroia est un personnage précieux pour la gauche qui pourra apporter une contribution importante à l'avenir, mais comme leader de la coalition, cela n'a pas marché.


Des analyses du vote plus approfondies nous diront si et dans quelle mesure le vote utile a eu son importance. Mais déjà en 2008 il a joué partiellement et moins que l'abstention. Aujourd'hui, il a encore moins fonctionné. La preuve contraire, c'est le résultat médiocre de SEL, avec 3,2% (quelques mois auparavant, elle était créditée de 6%), seulement 1% de plus et 300 000 voix de plus que Révolution civile. En outre, il faudra se demander pourquoi nous n'avons pas récupéré les nouveaux et les vieux abstentionnistes et surtout pourquoi le vote utile n'a pas fonctionné pour Grillo, d'autant plus que, selon les premières analyses sur les transferts de voix, il a récupéré une bonne partie des anciens électeurs du PD en 2008. Ce n'est pas le lieu de faire une analyse approfondie du Mouvement 5 étoiles. Nous nous limiterons à considérer que la force de Grillo a été sa capacité à se présenter comme ne s'étant pas compromis dans le passé, à agiter de façon crédible la question de l'Europe et de l'euro et à se déclarer non-disponible pour des accords au rabais. Mais surtout Grillo, c'est une différence avec nous, a compris le sens du vent et les sentiments profonds qui animent les italiens.


La plus grosse erreur réside dans le fait qu'en politique il faut choisir. Nous avons choisi de ne pas choisir et de faire choisir les autres pour nous. Dans un climat socialement brûlant et dans un contexte de grande volatilité, ces erreurs se paient lourdement. Au risque de me répéter, il faut tenir compte du fait que la période historique et le contexte social et économique en Italie et en Europe ont changé : retour de la pauvreté et du chômage de masse (et croissance corrélée de l'abstention), transformation de l'Etat-nation face à des politiques générales décidées à l'échelle européenne, délocalisation et financiarisation massives, et bien d'autres chose encore. Tout cela rend nécessaire une recomposition complète de nos propositions et de notre positionnement politique. On ne peut pas répéter les mêmes formules du passé, basées sur la réédition du centre-gauche. Il faut avoir la capacité de donner aux gens une perspective nouvelle et plus large, qui soit en mesure de revitaliser les énergies et de redonner l'envie de lutter.


Pour toutes ces raisons, sont nécessaires une réflexion et un re-positionnement stratégique, dans lesquelles il faut poser clairement le fait que l'autonomie idéologique et politique des communistes, à travers la reconstruction d'un véritable parti communiste, sont le premier point à l'ordre du jour. Le résultat de ces élections, pour nous, démontre surtout cela. C'est seulement en nous montrant à nous-mêmes et en montrant aux autres que nous sommes capables de nous unir et de trouver un point de vue commun, que nous pourrons faire le premier pas pour retrouver cette crédibilité et regagner le terrain que nous avons perdu.

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