vendredi 24 mai 2013

Laïcité dans le monde arabe : n’immolons pas l'histoire!

Ce texte est une contribution d'une camarade du PCF, élue à Lyon, Nawel BAB-HAMED.
C'est une contribution lors de l'université d'été de notre parti de 2011. vous pouvez aussi consulter un de ses autres textes "un parfum de jasmin " qui date aussi de 2011.

Laïcité dans le monde arabe : n’immolons pas l'histoire !

Liberté, c’est le mot qui a mis à l’unisson les ramages populaires des pays arabes. Liberté politique ? Liberté de conscience ? Liberté de pensée ? Liberté individuelle ? Liberté collective? Cette réflexion continue à faire couler de l’encre, de la salive et du sang.

Liberté. C’est le mot qui risque aujourd’hui de tomber en proie des renards. Un risque de confiscation des révoltes des peuples arabes qui aspirent, simultanément et dans l’urgence, à  se redéfinir et à redéfinir les batailles pour lesquelles ils s’engagent.

Ces révoltes s’inscrivent dans une construction mondiale où les rôles tenus par les dirigeants sont de plus en plus nombreux, complexes et interdépendants, quelque soit l’endroit où l’on se situe. Elles s’inscrivent dans un cadre régi par la peur de perdre l’hégémonie pour certains, la peur de perdre l’intégrité, la dignité voire la vie pour d’autres. Elles s’inscrivent dans la peur des néo-colonialismes qui génère ainsi la peur de l’ingérence intellectuelle allant jusqu’à diaboliser certaines valeurs  (démocratie, laïcité, féminisme…etc.), voire radicaliser à la violence les identités individuelles et collectives (xénophobies, attentats criminels, immolation). Elles s’inscrivent aussi dans  l’échec d’au moins des deux grands régimes: un communisme marqué  par la dictature et un capitalisme marqué par les  profits privés colossaux au dépens de millions de vie humaines. Dans ce processus de quête de nouveaux régimes, une troisième voie attise depuis quelques années les soulèvements: un ordre religieux.  Le 11 septembre 2001 a bouleversé et radicalisé la lecture du monde politique. En Europe, des revendications des Partis Populaires Européens (PPE) se succèdent depuis quelques années pour inscrire l'héritage chrétien dans la constitution européenne. L’Etat d’Israël, plus récemment, en prime du nième rejet des accords de 67, a exigé la reconnaissance institutionnelle de son identité religieuse juive. En France, le chantier de révision de la loi 1905, tend à redéfinir la laïcité par le prisme de l’immigration musulmane.

Dans cette configuration mondiale, les citoyens arabes acclament la démocratie et la liberté, mais timidement voire plus du tout la Laïcité. Ce point cristallise plusieurs questions: est-elle un produit importé directement des ennemis de l’islam comme le clament les courants politico-musulmans pour la disqualifier ? S'agit-il d'une adoption (copie) ou d’une adaptation (racine historique) de précédentes expériences ? Faut-il réinventer un autre concept à repartager massivement pour un nouvel ordre ? Après l’ingérence physique, quelle frontière contre l’ingérence intellectuelle ?...etc.


Face à l’usage abusif de l’histoire courte et sélective dont les conséquences peuvent être aussi graves qu’une bombe nucléaire, la matière historique, doit jouer son rôle de production de sens afin de dépasser des stéréotypes parfois
très anciens de sa propre histoire et de l’histoire de l’autre.

En remontant au 9e siècle -période contemporaine de Charlemagne - nous retrouvons en Orient un bout d’histoire bourdonnant de progressisme pour l’époque. Deux siècles après la formation des kharidjites en 657, des Chiites vers 660 (deux obédiences islamiques) naissent les Mutazilites : des neutralistes vis-à-vis des différents groupes musulmans, rassembleur, qui donnaient la primauté aux savoirs et aux débats, s’appuyant sur les religieux,
non pas sur la religion. Cette autonomie par rapport aux courants en rivalité se traduisait en termes politiques et juridiques acheminant la logique et la philosophie au questionnement théologique.  Sous ce courant, la philosophie fut très présente notamment avec la création de « maisons de la sagesse », qui accueillaient les esprits savants qui se nourrissaient  de la philosophie grecque traduite, lue, étudiée et enseignée dans la perspective d'une synthèse à accomplir avec la pensée musulmane et l’échange avec leurs contemporains européens, chrétiens et juifs. Les mutazilites tentèrent de démontrer que la raison ne s’oppose pas systémiquement à la foi.

L’empire Abbasside (considéré comme l’âge d’or de la civilisation arabo-musulmane donna trois califes mutazilites  dès 827 qui régnèrent de l’inde au Maghreb. Ils ont marqué leur époque par les débats qu’ils soulevaient sur la nature du Coran, sa lecture allégorique ou littérale, le commanditaire du mal et du bien, la prédestination et le libre arbitre, l’existentialisme…etc.

A partir du 10e siècle, la déchéance (Mihna) des Mutazilites grandit à mesure que cette doctrine prenait un tournant totalisant et violent. La marginalité des Qarmates (ismaéliens revendiquant des régimes égalitaires et un partage plus juste des richesses) laissa place au Sunnisme qui s’institutionnalisa par opposition à celles-ci. Aujourd’hui, leur histoire nous parvient principalement par leurs adversaires, leurs livres ayant été interdits et brûlés. Le 13e siècle marque  la stagnation de l'ijtihad (l’effort intellectuel), une rupture aussi avec l’évolution  des sciences. S’ensuit, dans l’histoire, le déclin de l’empire Ottoman « l’homme malade de l’Europe » au 19e siècle. Puis, au milieu du 19e siècle commence à apparaitre le terme ‘ilmaniyya (laïcité), période également de la Nahda (la Renaissance arabe) pour plaider la cause d’une distinction entre pouvoirs religieux et civils « La religion est affaire de Dieu et la patrie nous concerne tous». Ce qui permit de rompre avec les régimes de sultanat ottoman (califat spirituel et politique de tous les musulmans).

A cette période, le mot ‘ilmaniyya  accompagna la genèse de nouveaux concepts  (tanwir/ sortie de l’obscurantisme, hurriyya/ liberté) destinés à rattraper le retard sur les plans politique, administratif et intellectuel et rejoindre les idéaux de la révolution française de 1789 qui a secoué le monde à cette époque. Ce néologime a suscité un fervent débat sur la remise du pouvoir aux modernistes, techniciens  et scientifiques. Très rapidement, l’adjectif ‘ilmanî (laïque) devint synonyme de madanî (civil) et se substitua à lui pour devenir une sorte de prescription civile, qui ne tarda pas à cristalliser les enjeux de la Nahda : identité nombreuses et très différente dans la forme et dans la durée: il y a eu la Turquie et la Tunisie qui sont allées le plus loin sur cette piste, l’Iran à l’époque de Reza Khan, l’Egypte en temps que berceau et au moment où Gamal Abdel Nasser nationalisa le canal de Suez, l’Afghanistan, le Yémen du Sud puis les partis baasistes en Syrie et en Irak.
Mais à peine cette effervescence commençait et ces nouvelles sociétés germaient (genèse du panarabisme) qu’elles se sont noyées dans les bains de violences des premières et deuxièmes guerres mondiales, puis des protectorats ou des colonies. Le retour à l’islam institutionnel des pays nouvellement indépendants s’est fait sans prise en compte des réalités et des caractères propres à l'histoire  mondiale en bouleversement, ce qui a conduit progressivement au panislamisme. Il faut dire aussi que la réflexion sur la laïcité se construisait à la marge d’une société encore largement tribale, majoritairement analphabète, occupée, en grande majorité, par la survie plutôt que la vie.

Si les nouvelles forces politiques des pays arabes semblent vouloir replacer la démocratie au cœur des nouveaux projets de société, la liberté de pensée, y compris religieuse est inévitable et loin d’être secondaire. En prenant l’exemple de la Tunisie, la question de la laïcité  semble être ajournée aussi par les partis politiques  progressistes. Ils font le choix actuellement de jeter le bébé avec l’eau du bain, tandis que les islamistes, par le choix de leur nom (Ennahda), falsifient sciemment un référent collectif moderniste (Nahda arabe) tout en clamant que le Coran est leur constitution. En France, l’appellation Front National a subi le même sort avec la récupération du parti de l’extrême droite.
La morale religieuse semble être vécue, aujourd’hui, comme vecteur fiable d’éthiques là où les hommes sont de plus en plus corruptibles et défaillants dans la construction du vivre ensemble. L’éthique n’est plus partagée par des sociétés mais par des communautés, dans une même société, qui sont mises en concurrence.
Les impérialismes de la raison suprême (argent, ethnie, religion, culture) soumettent les éthiques (avec lesquelles on argumente mais sur lesquelles on n’argumente pas) à  rude rivalité, générant des défiances et des détournements pervers de certaines valeurs : l’exemple dominant est celui des chefs d'Etats occidentaux qui amalgament sciemment la défense des Droits  de l’Homme avec la défense de leurs intérêts financiers privés de manière que leur politique ne soit jamais contestée. Cette coercition économique habillée de charité humanitaire, non seulement pervertit ces droits à visée progressiste mais aussi toute pensée qui semble venir tout droit de l’Occident. Plus les régimes politique mettent à mal les valeurs du vivre ensemble et de liberté, plus la morale religieuse prend des formes politiques.

Ce moment historique  de bouillonnement simultané dans les quatre coins du monde nous oblige à repenser les combinaisons entre les valeurs progressistes défendues  au delà des appartenances religieuses, ethniques et géographiques.

Tout défenseur de l’éthique devra veiller à combattre le totalitarisme de n’importe quelle thèse dont l’histoire des idées et des faits nous prouve la dangerosité.

Tout défenseur de l’éthique devra rompre avec la logique et le langage issus du 11 septembre, de part et d’autres et rompre avec une image binaire du monde, dans ce cadre, la guerre israléo-palestinienne est une question clé sur laquelle le positionnement doit être clair.

Tout défenseur de l’éthique devra se positionner sur la question du droit à l’ingérence et ses frontières avec la démarche humanitaire.

Tout défenseur de l’éthique devra  réaffirmer qu’être contre une politique religieuse ne veut pas dire être  contre une religion. Etre contre une politique religieuse c’est justement éviter de tomber dans une reconnaissance à géométrie variable des religions, la même qui a nourrit le débat sur le voile en 2004 et qui nourrit le débat sur la burqa aujourd’hui et sur la valorisation de l’identité chrétienne de l’Europe. Un des moyens d’en être garant est de ne pas hiérarchiser les appartenances citoyennes,religieuses, ethniques en réaffirmant qu’elles œuvrent dans des champs
différents et pas systématiquement complémentaires. Défendre cette position, ce n’est pas défendre une position liberticide de la laïcité, c’est au contraire, préserver de la perversion à la fois les religions et les politiques, perversion qui alimente l’injustice, la discrimination et qui génère de facto du communautarisme.

Enfin, tout défenseur de l’éthique devra impérativement lier le progrès sociétal à la justice sociale (emplois, salaires, logement, santé, éducation), condition sine qua non qui disposent les citoyens, dans un mouvement commun et synchronique, à s’approprier leur monde en mouvement.
Pour conclure, je tiens à citer Mustafa Kemal Ataturk "L'homme politique qui a besoin du secours de la religion pour gouverner n'est qu'un lâche. Or jamais un lâche ne devrait être investi des fonctions de chef de l'état".

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