Les auditions du Lem - Philippe Naszalyi -... par LEMpcf
Le 19 mars, le Lem recevait Philippe Naszályi, co-auteur, avec Daniel Bachet, de L’autre
finance. Existe-t-il des alternatives à la banque capitaliste ?, Paris,
Editions du Croquant, 2011. Echos de cette rencontre.
On ne peut refonder
l'économie sans repenser la banque. Dès lors, il s'agit de revenir aux
fondamentaux : à quoi sert une banque ? A accueillir de l'argent, et à
en prêter à ceux qui en ont besoin. Quels systèmes bancaires
connaissons-nous ? Philippe Naszályi
en oppose deux : le capitaliste et le mutualiste. Ce dernier,
conceptualisé au XIXe siècle, se caractérise par le fait que ce sont des
sociétaires qui en sont à la fois les usagers
et les propriétaires. Les décisions sont prises en assemblée générale,
où un vote correspond à une voix et non à une action comme c'est le cas
dans la banque capitaliste. Créées à une échelle très locale, les
banques mutualistes visent à associer des individus pour leur permettre
de s'émanciper de la banque capitaliste. Il est bon de rappeler que la
finalité de l'activité bancaire n'est pas de se mettre au service de la
Bourse mais à celui de l'économie réelle. C'est bien la différence
profonde entre ces deux systèmes : l'un a pour but de générer des
profits, l'autre de promouvoir des initiatives visant à la production de
biens et de services communs. Ces deux systèmes bancaires ont cohabité
et cohabitent encore. En France, citons par exemple la Caisse d'Epargne,
le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel. Cependant, qui aujourd'hui, y
compris parmi leurs usagers, connaît leur spécificité ?
Faisons marche arrière et
retournons au temps béni du capitalisme triomphant. Tout système
alternatif est devenu un contre-modèle. Au nom d'une harmonisation
européenne, tous les pans de la société doivent être uniformisés à
l'aune de l'idéologie libérale. Et cela est valable, bien sûr, pour la
banque. Pour Philippe Naszályi, la loi bancaire de 1984 est à l'origine, via
la doctrine d'uniformisation européenne du système, de la fin du
mutualisme. Dès lors, un seul modèle compte : celui de la banque
capitaliste, de la société anonyme ; et l'actionnaire a remplacé partout
le sociétaire. Distinguer entre l'usager et le décisionnaire est la
première attaque contre la mutualité. C'est au milieu des années 80 que
la banque mutualiste perd son caractère de propriété collective, quand
est créé le statut de client non sociétaire. Une fois créée cette
catégorie de clients, reste à dénaturer la démocratie mutualiste. De ce
point de vue, à l'échelle d'une banque, la méthode est la même que celle
observée en ce moment même dans les pays européens : la légitimité de
l'élu est remise en cause à l'aune de la "compétence". C'est l'ère de
l'expert, qui seul est légitime pour prendre des décisions dont les
conséquences seraient trop complexes pour être appréhendées par des élus
qui n'ont pas l'auréole du technicien.
Cette
entreprise d'uniformisation du système bancaire sur le modèle
capitaliste apparaît aujourd'hui sous un jour nouveau. Car, même si les
voix de tous les défenseurs de l'idéologie dominante s'élèvent pour
défendre le système, il apparaît de plus en plus clairement que la
banque capitaliste a failli. Aujourd'hui, non seulement le système
bancaire ne soutient pas l'économie réelle, mais encore elle la dessert.
Rappelons que chaque année, ce sont un million de milliards de dollars
qui circulent : vingt ans d'économie réelle. La déconnexion entre
économie réelle et flux financiers est totale. Philippe Naszályi
était précédemment invité par les patrons du BTP dans l'Essonne. Il
nous a fait part de sa surprise en voyant que ces derniers mettaient les
banques au banc des accusés. Mais après tout, pourquoi s'en étonner ?
Car à quoi servent-elles si elles ne permettent pas, via des prêts
permettant les investissements, de soutenir les économies locales ?
Notre invité a souligné que les normes prudentielles ne se justifient
que pour la banque capitaliste. Celle-ci est structurellement tellement
deconnectée de la population qu'elle ne peut tenir compte des
spécificités de chacun des usagers qui la sollicite. La banque,
aujourd'hui, n'apparaît donc en aucun cas comme un allié qui appuirait
des projets, mais comme une entité qui exercerait un pouvoir arbitraire
sur le devenir économique des territoires et de leurs habitants. Seule
solution, selon notre invité : l'explosion du système, qui permettrait
de reconstruire une alternative à la banque capitaliste. Car, dit-il, il
n'y a pas d'autre issue : les capitalistes ont bel et bien gagné, et
les banques mutualistes n'ont de mutualiste que le nom. Dans la salle,
une autre alternative est proposée : conjuguer une politique
volontariste via la constitution d'un pôle bancaire public avec un mouvement citoyen suffisamment solide pour investir les lieux de décision.
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