jeudi 10 mai 2012

Le LEM a invité Philippe Naszályi à propos de son livre Banque capitaliste, banque mutualiste : une autre finance ?


Les auditions du Lem - Philippe Naszalyi -... par LEMpcf


 
Le 19 mars, le Lem recevait Philippe Naszályi, co-auteur, avec Daniel Bachet, de L’autre finance. Existe-t-il des alternatives à la banque capitaliste ?, Paris, Editions du Croquant, 2011. Echos de cette rencontre.

On ne peut refonder l'économie sans repenser la banque. Dès lors, il s'agit de revenir aux fondamentaux : à quoi sert une banque ? A accueillir de l'argent, et à en prêter à ceux qui en ont besoin. Quels systèmes bancaires connaissons-nous ? Philippe Naszályi en oppose deux : le capitaliste et le mutualiste. Ce dernier, conceptualisé au XIXe siècle, se caractérise par le fait que ce sont des sociétaires qui en sont à la fois les usagers et les propriétaires. Les décisions sont prises en assemblée générale, où un vote correspond à une voix et non à une action comme c'est le cas dans la banque capitaliste. Créées à une échelle très locale, les banques mutualistes visent à associer des individus pour leur permettre de s'émanciper de la banque capitaliste. Il est bon de rappeler que la finalité de l'activité bancaire n'est pas de se mettre au service de la Bourse mais à celui de l'économie réelle. C'est bien la différence profonde entre ces deux systèmes : l'un a pour but de générer des profits, l'autre de promouvoir des initiatives visant à la production de biens et de services communs. Ces deux systèmes bancaires ont cohabité et cohabitent encore. En France, citons par exemple la Caisse d'Epargne, le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel. Cependant, qui aujourd'hui, y compris parmi leurs usagers, connaît leur spécificité ?

Faisons marche arrière et retournons au temps béni du capitalisme triomphant. Tout système alternatif est devenu un contre-modèle. Au nom d'une harmonisation européenne, tous les pans de la société doivent être uniformisés à l'aune de l'idéologie libérale. Et cela est valable, bien sûr, pour la banque. Pour Philippe Naszályi, la loi bancaire de 1984 est à l'origine, via la doctrine d'uniformisation européenne du système, de la fin du mutualisme. Dès lors, un seul modèle compte : celui de la banque capitaliste, de la société anonyme ; et l'actionnaire a remplacé partout le sociétaire. Distinguer entre l'usager et le décisionnaire est la première attaque contre la mutualité. C'est au milieu des années 80 que la banque mutualiste perd son caractère de propriété collective, quand est créé le statut de client non sociétaire. Une fois créée cette catégorie de clients, reste à dénaturer la démocratie mutualiste. De ce point de vue, à l'échelle d'une banque, la méthode est la même que celle observée en ce moment même dans les pays européens : la légitimité de l'élu est remise en cause à l'aune de la "compétence". C'est l'ère de l'expert, qui seul est légitime pour prendre des décisions dont les conséquences seraient trop complexes pour être appréhendées par des élus qui n'ont pas l'auréole du technicien.
Cette entreprise d'uniformisation du système bancaire sur le modèle capitaliste apparaît aujourd'hui sous un jour nouveau. Car, même si les voix de tous les défenseurs de l'idéologie dominante s'élèvent pour défendre le système, il apparaît de plus en plus clairement que la banque capitaliste a failli. Aujourd'hui, non seulement le système bancaire ne soutient pas l'économie réelle, mais encore elle la dessert. Rappelons que chaque année, ce sont un million de milliards de dollars qui circulent : vingt ans d'économie réelle. La déconnexion entre économie réelle et flux financiers est totale. Philippe Naszályi était précédemment invité par les patrons du BTP dans l'Essonne. Il nous a fait part de sa surprise en voyant que ces derniers mettaient les banques au banc des accusés. Mais après tout, pourquoi s'en étonner ? Car à quoi servent-elles si elles ne permettent pas, via des prêts permettant les investissements, de soutenir les économies locales ? Notre invité a souligné que les normes prudentielles ne se justifient que pour la banque capitaliste. Celle-ci est structurellement tellement deconnectée de la population qu'elle ne peut tenir compte des spécificités de chacun des usagers qui la sollicite. La banque, aujourd'hui, n'apparaît donc en aucun cas comme un allié qui appuirait des projets, mais comme une entité qui exercerait un pouvoir arbitraire sur le devenir économique des territoires et de leurs habitants. Seule solution, selon notre invité : l'explosion du système, qui permettrait de reconstruire une alternative à la banque capitaliste. Car, dit-il, il n'y a pas d'autre issue : les capitalistes ont bel et bien gagné, et les banques mutualistes n'ont de mutualiste que le nom. Dans la salle, une autre alternative est proposée : conjuguer une politique volontariste via la constitution d'un pôle bancaire public avec un mouvement citoyen suffisamment solide pour investir les lieux de décision.

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