La veille de la journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage, le Sénat organisait un colloque "Mémoires croisées" sur la question coloniale et l'importance de sa présence dans notre histoire coloniale.
Vous trouverez ci-dessous son intervention
Merci aux organisateurs de la rencontre, à Mme Françoise Verges, de l’invitation qu’ils nous ont adressée….. Pour présenter rapidement l’ANPNPA, nous avons créé cette association fin 2008 avec deux objectifs majeurs, d’une part permettre que des « mémoires » et analyses autres que celles de pieds noirs nostalgiques de l’Algérie française puissent s’exprimer, d’autre part œuvrer à l’amitié entre les peuples algériens et français.
Deux séries de questions étaient posées :
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Pourquoi est-il important d’intégrer cette mémoire et cette histoire dans le récit national ? Comment ?
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Comment engager concrètement le processus de mise en conversation des histoires coloniales ? Faut-il envisager une commission « Vérité – Justice- Réconciliation» ?
Pourquoi est-il important d’intégrer mémoire et histoire dans le récit national ? Je voudrais dégager 3 points, 3 objectifs importants : Apaiser les mémoires des pieds noirs; lutter contre le racisme et la xénophobie ; cultiver l’amitié entre les peuples des 2 rives de la Méditerranée.
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Les mémoires des pieds noirs sont multiples, souvent opposées, subjectives et passionnées. Elles sont toutes empreintes du trauma du départ, de l’exil dans un pays que la plupart ne connaissaient pas ; et de ce point de vue, peu ou prou tous les pieds noirs se sentent Algériens, où plutôt enfants d’Algérie. Aujourd’hui, à coté d’une minorité d’excités, enfermés dans une nostalgie absurde de l’Algérie française, et qui sont entretenus dans cet esprit, il faut bien le dire, par les politiques menées depuis trop longtemps en France, tant au plan gouvernemental que local, à coté donc de ceux-la, les pieds noirs cessent progressivement de se réfugier dans la victimisation et le ressentiment. Il s’agit d’aider les pieds noirs, de nous aider à aller vers un apaisement, une décrispation de ces mémoires. Les travaux des historiens y contribuent, et ce qui sortira de cette rencontre le fera, j’espère, aussi.
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Lutter contre le racisme et la xénophobie, tel qu’ils s’expriment à l’égard de nos compatriotes d’origine algérienne et des immigrés maghrébins, tel qu’ils s’expriment dans nos villes et nos quartiers, tel qu’ils sont alimentés, et encore une fois hélas téléguidés du plus haut niveau politique, par les dérives autour du trop d’immigration et de l’insécurité, du halal et de l’islamophobie.
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Cultiver l’amitié entre les peuples des 2 rives de la Méditerranée, et œuvrer à la réconciliation des 2 pays.
Il s’agit 3 points importants pour enfin traduire dans le vécu politique et social que la guerre d’Algérie est finie !
Comment ? Nous avons à défaire et nous avons à faire !
Nous avons à défaire – Tout l’apanage de mesures qui ont été prises tant au niveau local que national pour banaliser les thèses d'extrême droite, l'apologie du régime colonial et la nostalgie de l'Algérie française, encensées jusqu'à tenter de réhabiliter l'OAS (qu’il s’agisse « des bienfaits de la colonisation », des pseudo-musées de la France en Algérie confiés à des associations de pieds noirs d'extrême droite, des légions d'honneur distribuées aux ex-OAS, des stèles à leur honneur, de Bigeard aux Invalides, etc). Se battre contre ces falsificateurs de l'histoire, les nostalgériques et leurs alliés politiques, va plus loin que leur simple dénonciation ; c'est se battre pour la paix, la réconciliation et l'amitié entre les peuples.
Nous avons à faire :
Au niveau gouvernemental (et législatif, Mesdames les sénatrices et Messieurs les sénateurs) il faut que soit affirmée une réelle volonté politique de réconciliation avec l’Algérie, seul moyen de faire cesser les surenchères réciproques entre les deux états ; favoriser les collaborations et les passerelles en terme de recherche (en histoire notamment), de culture, de santé, d’éducation, d’économie bien sûr, etc. A tous les niveaux (national, régional, municipal), doter de véritables conseils scientifiques les musées et autres initiatives prises touchant à l’histoire et la mémoire… Au niveau local, favoriser le rapprochement des peuples Français et Algérien (qu’ils vivent ici ou là bas), par la multiplication d’échanges, rencontres, voyages d’études, etc.
Nous pouvons espérer, je devrais dire il faut que le changement politique que nous venons de connaître se traduise en ces termes. Monsieur le Président du sénat, Mesdames et Messieurs sénatrices et sénateurs nous attendons de vous qu’avec de vos collègues députés bientôt renouvelés, vous preniez des initiatives politiques fortes allant dans ce sens et rompant avec la pratique antérieure !
Deux autres questions nous étaient posées : Comment engager concrètement le processus de mise en conversation des histoires coloniales ? Faut-il envisager une commission « Vérité – Justice- Réconciliation»?
Sur la première, la mise en conversation des histoires coloniales, il convient de serrer les différences et les similitudes qu’ont présenté les différents types de colonisation, et surtout quelles sont leurs résonances dans la société dans laquelle nous vivons. C’est bien sûr un travail pour les historiens, sociologues, et tous les spécialistes que l’on veut, mais c’est aussi un travail pour les citoyens : les différentes colonisations ont produit en France des immigrations différentes ; comment dialoguons nous avec ces immigrations, comment ces immigrations dialoguent-elles et comment vivons nous nos solidarités avec celles-ci ? Il y a des exemples formidables dans l’histoire, comme Franz Fanon théoricien anticolonialiste martiniquais et militant du FLN en Algérie.
Je dis un mot d’une expérience qui se mène à Marseille, où je vis. Au début de ce qu’il est convenu d’appeler « révolutions arabes », fin 2010, s’est constitué un Collectif Solidarité Maghreb, auquel nous, association de pieds noirs, avons adhéré. Son objectif initial était de populariser les mouvements se développant en Algérie, Tunisie et Maroc. Ont rejoint le collectif des personnes originaires de différents pays d’Afrique noire - Côte d’Ivoire, Mali, Cameroun - et des Comores (forte communauté à Marseille). Ceci a permis à la fois d’échanger sur l’histoire coloniale propre à chaque pays, mais surtout de mener ensemble des actions solidaires. Ce n’est qu’une expérience ponctuelle, de portée limitée, mais qui montre que des engagements citoyens de ce type sont et possibles et socialement utiles.
Une commission Vérité, Justice, Réconciliation ? Pourquoi pas, utile sans doute pour lever le voile sur le passé, et pour ce qui est de l’Algérie, débattre dans la sérénité de l'histoire de la colonisation, de la guerre et de l’indépendance; utile, surtout si elle est constituée de membres (historiens ou non) venant de différents pays, et pour l’Algérie des deux côtés de la Méditerranée. Mais comment définir sa composition ? La guerre d’Algérie pèse d’un tel poids dans l’inconscient collectif que sa mise en place sera d’une grande complexité, si l’on considère que des sensibilités différentes devront y être représentées. Disant cela, j’ai par exemple bien conscience de ce que l’association que je préside ne représente pas la diversité des sensibilités des pieds noirs; ce qu’elle ne revendique d’ailleurs pas ! La seule chose que l’on puisse dire, c’est que plupart des autres associations de pieds noirs seraient effrayés par l’intitulé même de la commission : Vérité, Justice, Réconciliation !
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