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Modèle allemand, une imposture
Introduction
Le modèle allemand, voilà le salut. Une chronique quasi continue nous
invite à en imiter les règles. Des « coûts salariaux » en diminution
qui favorisent la compétitivité, des finances publiques à l’équilibre,
le consensus des partenaires sociaux sur les orientations des directions
d’entreprises. Il n’y aurait pas d’autre choix que de se conformer ou
de continuer à nous enfoncer dans les difficultés. Et il serait
rassurant qu’au niveau européen Angela Merkel impose son « leadership »
avec le traité budgétaire, des normes de gouvernance partout
« rigoureuses », assorties d’une panoplie de sanctions pour ceux qui ne
s’y soumettraient pas et une « aide » aux pays les plus
surendettés forcément attribuée avec des contreparties drastiques.
Ce modèle là est une imposture. Non seulement il ne soigne pas les
pays affectés par la crise de l’euro mais il les empoisonne. Un tournant
vient d’être atteint. L’Allemagne, le cœur de référence du modèle, est
rattrapée elle même par la crise. Une stagnation de son économie est
programmée au mieux pour 2013 (+ 0,4% de croissance selon les prévisions
de la Bundesbank, la banque fédérale allemande). Les réformes
anti-sociales lancées au début de la décennie 2000 par le chancelier
Gerhard Schröder, poursuivies par Angela Merkel engendrent une précarité
massive qui étouffe la demande intérieure. Et l’austérité budgétaire
imposée aux partenaires européens contracte les débouchés des firmes à
l’export.
Toute une société dangereusement ébranlée par le contrecoup des
réformes de structure, orchestrées par le chancelier social-démocrate,
Gerhard Schröder au début des années deux mille. Des phénomènes
inconnus, il n’y a pas si longtemps encore, prennent une extension
considérable. Comme les travailleurs pauvres ou la misère des seniors
après le démantèlement partiel du système de retraite par répartition.
La discrimination sociale et professionnelle des femmes persiste. La
crise démographique s’étend. Les coûts de l’énergie explosent. Et les
prix des loyers et de l’immobilier jusqu’alors contenus, commencent eux
aussi à s’emballer.
Pourtant c’est sur ce modèle là que l’Europe devrait régler son pas.
Les normes ordo-libérales de Berlin sont aussi celles de Bruxelles. Un
forcing est engagé pour qu’elles s’imposent toujours davantage à tous
les pays de la zone euro. Comme cette « règle d’or » budgétaire
française, imitation du « frein à dette » (Schuldenbremse) intégré dans
la loi fondamentale germanique ou même comme cette loi dite ANI (Accord
National Interprofessionnel) de flexibilisation de l’emploi promulguée
par Paris au printemps 2013.
L’Allemagne occidentale avait fondé sa puissance industrielle sur un
système rhénan caractérisé par des productions de qualité mises au point
et fabriquées par des salariés hautement qualifiés qui étaient les
mieux payés de toute la communauté européenne. Sa force de frappe reste à
l’origine des performances allemandes actuelles à l’exportation.
Très inspirée par le patronat germanique, qui a acquis une place de
plus en plus prépondérante dans les processus de décision politique
outre-Rhin, la mutation du vieux système a traduit un double objectif
stratégique.
Il s’est agi d’une part de renforcer une position hégémonique sur le
reste de l’Europe pour placer les groupes exportateurs en pôle position
sur le champ de l’économie mondialisée. Et on a voulu briser d’autre
part les vieilles contraintes internes d’une économie allemande, très
peu dépendante jusqu’alors de la bourse, afin d’épouser des critères
anglo-saxons privilégiant le rendement financier. Car ceux là étaient
considérés comme une sorte de visa vers le grand large.
C’est précisément autour de ce double objectif stratégique que se
nouent les contradictions qui éclatent aujourd’hui. L’Allemagne est
dominante grâce à sa puissance industrielle mais en même temps ébranlée
par le torpillage que Berlin a, lui même, organisé du système
économique et social rhénan à l’origine de… ses performances. Et la
volonté d’imposer des mesures de plus en plus sévères et coercitives aux
pays de la zone euro accentue la crise de la monnaie unique avec un
effet boomerang pour les exportations allemandes.
Ces contradictions s’enveniment aujourd’hui. Elles sont à l’origine
de la récession de la zone euro. Mais l’obstination à suivre, à la
lettre, chez chaque état-membre les dogmes qui ont servi de référence à
la mutation du vieux système rhénan, ne porte pas à conséquence
seulement sur un plan économique. Elle alimente maintenant une crise qui
est aussi sociale, morale et politique.
La multiplication des scandales politico-financiers, en Espagne, en
Grèce, ou en Italie, jusqu’à l’épisode français de l’affaire Cahuzac,
l’écart qui se creuse entre le monde politique et des classes
populaires qui ne se sentent plus entendues, la montée de l’abstention,
le succès des populismes et autres nationalismes ou régionalismes, sont
en fait l’autre versant du modèle. L’Europe est touchée par des
secousses multiformes dont l’origine se situe précisément dans sa
soumission à des normes ordo-libérales « sans alternative » comme on le
martèle de Berlin à Bruxelles.
L’Allemagne n’échappe pas au malaise général. Et cela n’a rien
d’étonnant puisqu’elle est, en fait, à l’épicentre de ces crises. Comme
le révèlent les propos de la chancelière quand elle en vient à formuler
la nécessité pour la démocratie d’être « Marktkonform » (conforme au
marché (1). Des intellectuels, des syndicalistes, des progressistes se
sont aussitôt insurgés outre Rhin, relevant combien ce terme qui visait à
justifier la mise sous surveillance des états-membres partenaires,
illustrait la marche vers une «postdémocratie» réduisant partout les
droits de citoyens à cette conformité marchande.
Le modèle, si désiré des messagers de l’orthodoxie économique, est un
poison pour l’Europe et pour ... l’Allemagne. Il y a urgence à refonder
la construction européenne en y inscrivant en grand les principes de
coopération et de solidarité toujours plus malmenés. Des changements
radicaux immédiats sont possibles et cruciaux, dans l’intérêt des
peuples européens …avec ces allemands, nombreux, qui ont fait le choix
de résister et d’exiger des alternatives.
1) Angela Merkel, le 3.09.2011, dans une
interview à la radio publique DeutschlandRadio : « Nous vivons bien
dans une démocratie et c’est une démocratie parlementaire et c’est
pourquoi le droit de décider du budget est un droit nodal du parlement
et tenant compte de cela nous trouverons des chemins, pour faire en
sorte que la codécision parlementaire soit aussi conforme au marché »
(Wir leben ja in einer Demokratie und das ist eine parlamentarische
Demokratie und deshalb ist das Budget Recht ein Kernrecht des Parlaments
und insofern werden wir Wege finden, wie die parlamentarische
Mitbestimmung so gestaltet wird, dass sie trotzdem auch Marktkonform
ist».
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