jeudi 4 juillet 2013

Nelson Mendela et nous...

Vu comment certains parlent de Nelson Mendela, je mets en ligne ce texte de Jacques Fath, responsable aux relations internationales du PCF, où il retrace l'histoire liant le PCF, l'ANC et SACP (Parti Communiste Sud-Africain) pour la libération de l'Afrique du Sud.
Vous pouvez lire aussi le point de vue de Francis Wurtz sur son blog.

Retour sur le formidable mouvement qui a porté le prisonnier de Robben Island à la présidence de la République d’Afrique du Sud.

La montée des luttes populaires antiapartheid en Afrique du Sud fut décisive dans les années 80. Le combat contre le système colonial et de discrimination raciale sud-africain a cependant marqué toute la seconde moitié du XXe siècle.

On ne peut réduire le mouvement anti-apartheid à l’antiracisme tellement sa portée fut globale. Cette lutte s’inscrivit en effet dans les enjeux de la décolonisation, de la guerre froide, de la montée de l’exigence démocratique et du besoin d’une voie de développement nouvelle porteuse d’égalité, de justice et de progrès humain. Ce sont toutes les grandes questions du XXe siècle qui se cristallisèrent ainsi, dans cette grande bataille, en particulier au moment des bouleversements en Europe de l’Est (dont les régimes ont soutenu l’ANC). C’est toute la donne internationale qui est en train de changer. Des aspirations populaires et un monde nouveaux s’annonçaient.

Le PCF va s’engager intensément et au plus haut niveau aux côtés du peuple sud-africain parce qu’il mesure alors la dimension de l’enjeu, parce qu’il veut faire du refus de l‘asservissement d’un peuple un moteur de conscience politique.

La nécessité de la destruction du système d’apartheid a mûri au cours des années. L’ONU elle-même, dès la décennie 60, y contribua en légitimant les sanctions. En 1973, son Assemblée générale reconnaissait explicitement la nécessité « d’éliminer et de réprimer l’apartheid ». A juste titre, les Nations unies liaient la libération pour le peuple d’Afrique du Sud à celle des autres peuples d’Afrique australe, notamment la Namibie.

Un système criminel et obsolète

Il faut souligner à quel point ce système colonial sud-africain était à la fois obsolète et criminel. La violence faisait partie de sa nature : massacres de Sharpeville en mars 1960, de Soweto en juin 1976 ; assassinat de Dulcie September en 1988… Le régime s‘appuyait sur un arsenal sévère de dispositions et de forces de répression qui n’épargnaient aucun opposant, y compris les Blancs, Métis ou Indiens qui osaient la critique. Le système se présentait comme le rempart du monde libre face au danger communiste sur le continent africain.

C’est probablement ce mythe idéologique qui servit à justifier tant de livraisons d’armes occidentales, en particulier françaises, à un régime pourtant si contraire aux principes et aux buts de la Charte des Nations unies et aux valeurs humaines universelles.

Il est vrai que les intérêts en jeu étaient considérables. Les banques et les multinationales du monde capitaliste, notamment celles à base française, y défendaient leur implantation et leurs profits. Peu importait alors la défense d’intérêts capitalistes injustifiables dans un niveau d’exploitation intolérable… Jusqu’au moment où la lutte populaire et la solidarité internationale imposèrent les sanctions qui contribuèrent à de premiers reculs du régime, à la libération des prisonniers politiques puis à la chute du système lui-même.

L’engagement des communistes

Cette bataille ne fut pas si simple à conduire. Quelques années avant sa libération, qui
connaissait Nelson Mandela en France ? Certes, lors du procès de Rivonia (1963-1964), qui envoya le chef de l’ANC et ses camarades au bagne, Marie-Claude Vaillant-Couturier, pour le groupe communiste, intervenait à la tribune de l’Assemblée en faveur des inculpés. Mais en 1984, un sondage IFOP pour l’Humanité Dimanche révélait que 68 % des Français n’avaient jamais entendu parler de Nelson Mandela. Seulement 20 % le savaient victime d’atteinte aux libertés.
Il en a fallu des initiatives, des rassemblements énormes, des manifestations, des interventions, des affiches, des articles dans l’ensemble de la presse du PCF, dont l’Humanité, pour nourrir ce mouvement populaire et une très large solidarité qui finirent par l’emporter dans l’opinion publique et contre toutes les complicités.

Lors de la Fête de l’Humanité de 1985, tandis qu’un grand concert est donné pour le peuple sud-africain, Roland Leroy et une délégation se rendent à Matignon pour exiger le boycott du régime d’apartheid. En 1988, Georges Marchais propose le Prix Nobel pour Nelson Mandela et le 31 janvier 1989 il se rend à Oslo pour présenter cette candidature pour laquelle 2 500 personnalités françaises et étrangères avaient signé avec le Comité de défense des droits de l’homme et des libertés présidé par le secrétaire général du Parti.
 
Un petit badge métallique est édité par le PCF, dont la vente permit d’alimenter l’aide financière à l’ANC. On se souvient aussi de la bataille pour la libération du jeune Français Pierre-André Albertini, accusé d’avoir transporté des armes pour l’ANC. Mais le régime de Pretoria est en train de perdre ses soutiens. François Mitterrand refusa les lettres de créance du nouvel ambassadeur sud-africain en France en s’appuyant sur l’affaire Albertini. Déjà, en 1985, le gouvernement Fabius finit par décider d’arrêter les importations de charbon en provenance d’Afrique du Sud et de suspendre tout investissement dans ce pays.
 
L’ambassadeur de France sera rappelé. C’est le début de la fin grâce à une mobilisation populaire qui ne cessa de se renforcer et de s’élargir, notamment avec la création de Rencontre nationale contre l’apartheid (RNCA) dirigée par Marcel Trigon et Jacqueline Derens, avec la mise en place du Comité Nelson Mandela libre qui rassembla 71 organisations politiques, syndicales, associatives, avec le soutien de mouvements chrétiens, d’artistes, de musiciens, d’écrivains, de personnalités connues comme Breyten Breytenbach qui s’y associa. Le PCF et le Mouvement de la jeunesse communiste s’y engagèrent pleinement. La diversité de ce Comité fit sa force et sa représentativité au-delà des débats et des divergences d’approches sur le sens et la nature du combat à mener.

La libération de Nelson Mandela et des prisonniers politiques cristallisa l’ensemble de la lutte solidaire contre le système d’apartheid. La jeunesse, et en particulier la jeunesse communiste, y puisa une formidable énergie, au point qu’on parlera ensuite de la génération Mandela.

Un évènement d’une portée mondiale.

Lorsque celui-ci, le 11 février 1990, sort de prison, l’émotion est immense. L’événement est mondial. La chute définitive du régime d’apartheid se dessine. C’est une avancée décisive, à la fois politique, sociale, morale, profondément démocratique et porteuse d‘un immense espoir d’égalité et de justice pour le peuple sud-africain, pour l’Afrique, pour toutes les forces d’émancipation humaine dans le monde.

Le 7 juin suivant, Nelson Mandela est à Paris. Il est reçu par les autorités françaises. Il est accueilli notamment au siège du Parti communiste français, accompagné de Thabo Mbeki et Solly Smith, représentant de l’ANC en France.
L’arrivée de Mandela dans le hall du Comité central est un moment exceptionnel, une explosion d’émotion et de joie… dans un enthousiasme collectif inénarrable. Georges Marchais et Nelson Mandela s’étreignent longuement. Winnie Mandela tient Georges Marchais par la taille… Tout le monde sait, alors, que le combat n’est pas terminé. Loin de là. Mais quelle victoire !

Mandela restera comme le symbole d’une légitimité démocratique universelle qui continue à imposer le respect à tous, à rassembler le peuple sud-africain dans sa mémoire et dans l’espoir d’une Afrique du Sud capable, dans notre temps de crise, de répondre aux profondes attentes sociales et populaires… Mais ceci est une autre histoire.
Jacques Fath

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